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Ce roman biographique s'ouvre en 1846, alors que Charlotte Brontë est
au chevet de son père qui se remet d'une opération des yeux. Ils
sont dans une petite maison de location dont les rideaux doivent rester fermés
pour éviter la lumière. Une infirmière qui loge dans une
chambre au deuxième étage s'occupe des soins et des repas. Une alternance des points de vue entre les personnages rend le récit vivant et émouvant. Le père, pasteur, rêve et récite des psaumes sans savoir s'il va recouvrer la vue et, à soixante-neuf ans, se croit au bout du chemin. En fait, il dépassera les quatre-vingts ans et mourra après tous ses enfants. L'infirmière a faim et trouve que le budget nourriture n'est pas suffisant. La scène où Charlotte la surprend dans la cuisine, la nuit, en train de grignoter un reste de gigot, apporte une note d'humour et d'émotion. Au fil des pages et des jours, nous suivons l'écriture de Jane Eyre
et nous comprenons tout ce que Charlotte y transfère de son propre vécu.
Sheila Kohler, par une subtile construction, émaillée de flash-back, fait revivre les six enfants du pasteur pelotonnés dans une chambre à la mort de leur mère, l'arrivée de la tante maternelle, le passage dans l'horrible pension où les deux surs aînées contractent la tuberculose dont elles meurent, l'expérience de gouvernante de Charlotte, considérée comme une domestique, méprisée, humiliée, puis la pension de Bruxelles où elle enseigne l'anglais, où elle est follement amoureuse du directeur qui l'aide à découvrir la littérature et l'encourage dans l'écriture mais qui refuse ses avances, la folie de son frère, Branwell, alcoolique opiomane qui met le feu à sa chambre, autant de situations, d'émotions qui vont nourrir les romans de Charlotte et ceux d'Emily et Anne. Les trois surs ont déjà publié, à leurs frais
et sans grand succès, un recueil de poèmes sous des pseudonymes
masculins reprenant l'initiale de chacun de leurs prénoms et une partie
du nom du vicaire de leur père : Curreer, Ellis et Acton Bell. Quelques années plus tôt, elle avait écrit à Robert Southey, un poète qu'elle admirait beaucoup et qui lui avait accordé l'immense honneur d'une réponse. Ce ne fut que plus tard, dans la soirée, qu'elle lut, à la lueur vacillante de la chandelle, les mots du célèbre poète. Et quels mots terribles ! Ils resteraient à jamais inscrits au fer rouge dans sa tête. Cette lettre, il ne fallait pas la garder pour elle mais pour la soumettre au jugement de la postérité. "La littérature, avait-il la bonté de l'informer, ne peut et ne saurait être l'affaire d'une femme..." Maintenant que Jane Eyre est publié et rencontre le succès, Currer Bell veut redevenir Charlotte Brontë aux yeux du monde. Sheila Kohler poursuit son roman jusqu'à la mort de Charlotte en 1855, à 39 ans, quelques années après celles, très rapprochées, de son frère et de ses surs en 1848 et 1849. Aucun des six enfants Brontë n'aura atteint quarante ans La construction et l'écriture de Sheila Kohler donnent un livre passionnant, où l'on vit au plus près les émotions de Charlotte Brontë et la façon dont toute cette passion et toute cette souffrance nourrissent son écriture et se retrouvent dans la pension Lowood, chez Rochester (la folie de sa femme, l'incendie, l'amour impossible, la jalousie, l'humiliation de la gouvernante, la cécité et la vue recouvrée ) ainsi que dans les autres romans publiés ensuite. Un ouvrage comme on les aime, qui ouvre vers d'autres désirs de lectures, dont on sort en se disant qu'il faut absolument lire ou relire les romans de ces trois surs passionnées et déterminées dont on vient de partager le quotidien pendant quelques heures. Serge Cabrol (06/01/12) |
Sommaire Lectures La Table Ronde Quai Voltaire 272 pages - 20 € Traduit de l'anglais par Michèle Hechter Visiter le site de Sheila Kohler |
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