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Romain SLOCOMBE


L'Infante du rock


L'Infante du rock raconte la vie d'Alain Gluckheim, dit Glucose, ancien parolier des Mona Toys, un groupe rock new wave déjanté, qui connut le succès dans les années 80. Un savant mélange entre "Sexe, drogue et rock'n roll" et "No future". Une jeunesse intense dans le sillage de Mona Granados, la chanteuse et égérie du groupe culte, dont celui que les fans surnommaient le "crazy poet du Trocadéro" était secrètement amoureux.
En 1986 Glucose séduit par Takao Handa, journaliste japonais et correspondant parisien de la mafia des yakusas, prend ses distances avec le groupe en perdition pour se livrer à des trafics douteux mais fort rémunérateurs avec l'étranger. La roue tourne, les chemins se séparent. Le parolier ne revit Mona qu'une seule fois, pour une étrange soirée sous acide, en 90 ou 91, avant de partir vivre à Tokyo.
C'est là qu'il rencontrera Shôko, sa future compagne, et qu'il apprendra, à la lecture d'un journal français, la mort de "l’Infante du Rock". Une overdose, un corps aux membres mutilés, sans tête, repêché dans la Seine... De quoi nourrir les doutes et les rumeurs les plus folles.
A son retour en France quelques années plus tard, assagi, l'homme, gagne sa vie en écrivant avec un certain succès des polars et en effectuant des traductions. Parfois, en complément et presque par plaisir, il joue le guide pour touristes japonais en visite à Paris. Une vie organisée, tranquille.

Au début du roman, l'écrivain a quarante ans. Son épouse Shôko atteinte d'une dépression aiguë nommée par les spécialistes "syndrome de Paris" est internée en hôpital psychiatrique. Son éditeur qui ne trouve pas son dernier manuscrit assez "tendance" lui fait des tracasseries vexatoires et un metteur en scène mythomane et médiocre le harcèle au téléphone. Mauvaise passe. Restent les souvenirs et la nostalgie qui s'installe.
C'est alors, après dix ans de silence, que, par un elliptique message téléphonique Takao se rappelle à son bon souvenir... Au même moment, un certain "Tito la Came" après avoir reconnu l'ancien des Mona Toys attablé dans un café, lui révèle avoir revu récemment l'infante du rock déambulant dans une rue de Pigalle...

Hanté par les fantômes de son passé, Glucose se lance alors dans une double enquête sur les traces de son ami japonais et sur celles de son ancien groupe de rock. Une errance désordonnée qui mènera ses pas du cimetière où certains reposent désormais au bureau bien gardé de Bertrand transformé en DRH féroce, riche et bedonnant, en passant par l'étrange décor où Arnaud, gourou illuminé d'une secte satanique, officie. La silhouette de Mona, elle, semble partout se faufiler dans l'ombre...
De rendez-vous manqués en pistes en cul-de-sac, c'est à une véritable descente en enfer pavée de morts que l'ex-poète du Trocadéro sera confronté.

L'Infante du rock est un roman sur l'impossible quête menée par un rêveur pour retrouver sa jeunesse disparue. Le personnage, en perpétuel décalage avec la réalité, est un naïf, pathétique parfois mais attachant qui, à une période critique de sa vie, se retrouve entraîné dans des aventures morbides qui l'attirent inconsciemment mais qu'il ne maitrise jamais.
Pour accompagner les errances et les pérégrinations de Glucose, Romain Slocombe s'est transformé en guide touristique d'un Paris bien vivant, hors des beaux quartiers confits dans leur histoire ou de l'image factice que les touristes égrillards attirés par le folklore et les plaisirs vulgaires rapportent chez eux. C'est sa vision toute personnelle d'une capitale sombre et mystérieuse avec ses places, ses boulevards et ses rues bruyantes et animées, ses cafés, ses lieux de convivialité glauques ou branchés, que l'auteur nous livre avec émotion. Des quartiers où l'humain l'emporte sur la pierre ou l'argent. Face à la dangerosité supposée, martelée, de la ville, c'est avant tout à celle de l'homme loup pour lui-même, à celle de la part obscure de ses fantasmes et ses pulsions que le lecteur est ici confronté.
L’intrigue, bâtie à la manière d’un puzzle avec des histoires qui s’imbriquent et s’entremêlent, alterne le présent et le passé. Le style précis, ciselé, est efficace en diable. Cette ode nostalgique touffue, brouillonne parfois, est portée par un sens aigu du rythme et une atmosphère générale, noir intense matinée d'humour amer, qui crée une unité signifiante.
Ce roman a toute sa place dans la collection Noir 7.5 dirigée par Olivier Mau : outre son inscription précise dans un quartier parisien, il restitue aussi sa page de l'histoire contemporaine avec les manifestations contre la loi Devaquet en 1986, place d’Italie.
Derrière cette étude sociologique d'une génération perdue avec ses situations ambiguës, on retrouve les thèmes habituels de Slocombe : le Japon et sa culture, l’art contemporain, la musique mais aussi les fantasmes, la dérive, les marges, un parfum qui ressemble à une personnalité.

Également graphiste, dessinateur, photographe, réalisateur, Romain Slocombe est un écrivain original et audacieux. Plus que par le suspense, c'est par son atmosphère, l'épaisseur de la nuit, les relations troubles qui s'y tissent, le malaise généré et finalement la folie et la haine qui emportent tout, que le roman accroche le lecteur. On adhère, on y croit, on vibre.

Dominique Baillon-Lalande 
(07/04/10)    



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Noir & polar








Editions Parigramme
276 pages - 15 €








Photo © Pir / www.flickr.com
Romain Slocombe,
artiste, réalisateur, écrivain, a participé au groupe Bazooka dans les années soixante-dix et s’est illustré dans la BD, le dessin, la peinture ou la photo. Il a publié de nombreux romans noirs, parmi lesquels Lolita complex (Fayard, 2008) et Envoyez la fracture ! (Suite noire, 2007), porté à l’écran sur France 2 en août 2009.