Laurence TARDIEU

Puisque rien ne dure


Pendant le court trajet de l’école à son domicile Clara, 8 ans, disparaît. Un fait divers comme tant d’autres mais, derrière le drame, il y a un homme et une femme. L'attente s'installe, insupportable.
« Nelson Mandela a été libéré aujourd’hui. Partout on ne parle que de ça : les journaux, la radio, la télévision. (…) Je ne peux pas participer à cette joie collective. J’aimerais mais je ne peux pas. Je ne peux pas dépasser ma petite vie, son calvaire. (…) Je suis emprisonnée à l’intérieur de moi, Vincent et moi sommes emprisonnés, le reste du monde n’existe plus pour nous, nous sommes exclus, seuls. »
La police enquête puis abandonne les recherches. On ne retrouvera jamais l’enfant. Vincent et Geneviève, les parents de la pétillante Clara ont tiré un billet direct pour l’enfer. Devant eux, désemparés, hébétés, l’absence de la fillette comme un vide immense, une fêlure. Dans l’appartement trop vide devenu prison, pas de cris, ni de pleurs partagés, juste une immense souffrance, solitaire, qui les sépare. Muré dans sa souffrance, chacun s’essaye, comme il peut, à ce deuil sans corps à pleurer.
Comment réagir face à ce « malheur brutal qui ravage tout sur son passage, même l’amour » qu’ils pensaient pourtant indestructible ? « Comment la vie peut basculer à ce point ? Qui peut être assez fort pour ne pas tomber ? Avoir tout, être heureux, se sentir aimé, entouré, et le jour d'après tout perdre. Comment la vie peut-elle, dans le même mouvement, retirer et donner ? »
Geneviève se met à écrire tous les jours dans un journal parce que « les mots peuvent sauver. (…) Ils maintiennent le lien à soi. Ils permettent de ne pas s'égarer dans la nuit profonde de la folie » et choisit la retraite du monde. « Je ne resterai pas dans cette maison. Je vais partir à la campagne. Je veux du silence ».
Vincent, lui, préfère tenter d’oublier et se replonger dans le tourbillon de la ville et de la vie. « J’avais quarante ans, je voulais encore me sentir vivant, éprouver du plaisir, éprouver la joie (…) je ne voulais pas disparaître à mon tour, je voulais m’accrocher, résister, vivre encore, vivre. »

Un roman en trois parties distinctes. Dans la première, quinze ans après le drame, Vincent, en route au chevet de Geneviève malade qui l’a appelé avant de mourir, se souvient de leur rencontre amoureuse, de l’enfant du bonheur, de l’intolérable douleur de la disparition et de l’éclatement du couple qui en résulta. Puis, c'est le journal intime écrit par la mère lors des dix jours qui ont suivi le terrible drame qui nous est ouvert. Dans la troisième partie, le couple se retrouve dans les derniers gestes, les ultimes paroles qui accompagnent la mort pour faire revivre Clara au fil des souvenirs et enfin accepter le deuil. Le temps est venu pour elle de partir apaisée et pour lui de se réconcilier avec la vie, de montrer à sa nouvelle compagne la photo de Clara et de lui raconter leur histoire, celle-là même qu’il accepte maintenant de regarder en face et qui restera à jamais gravée en lui.

Ce récit qui ne se limite pas à ce drame odieux, évoque également comme en écho toutes les pertes ou disparitions sources de solitude et de souffrances qui peuvent atteindre l’homme durant sa vie. Celle de la mère « J’ai pensé à ma mère. (…) une fois encore, comme après la naissance de Clara, son absence m’a paru insoutenable. J’ai eu beau essayer de me raisonner, me dire que, même si elle était encore en vie, la disparition de Clara m’aurait peut-être éloignée d’elle tout comme elle le faisait des autres, et que cet éloignement que je n’aurais su empêcher aurait accru ma souffrance, je ressentais l’effroi de l’enfant perdu dans la foule. (…) Une fois encore j’ai éprouvé qu’on reste à jamais inconsolable de la mort de sa mère. » ou celle de l’être aimé. L’amour et la douleur ont mille visages.

Ce roman oppressant, véritable concentré d’émotions, qui aborde le sujet délicat de l’inacceptable enlèvement ou disparition d’un enfant, sait éviter la dérive du pathos dégoulinant, du sensationnel racoleur ou du voyeurisme pour rester pudiquement, respectueusement dans l’intime. Quand l’auteur met à nu l’immense détresse des parents que la folie guette au bout du chemin, au lieu de choisir le registre du tragique en nous précipitant avec ses personnages dans le gouffre le plus noir, il parvient par des techniques judicieusement employées, concerto à plusieurs voix et récit en différé évitant l’immédiateté du drame, à décrire le naufrage de ses personnages et de leur couple face au drame avec simplicité, finesse et intelligence tout en laissant entrevoir un apaisement ou un espoir possible après les larmes. Comme le jour et la nuit, ou l’ombre et la lumière, la vie et la mort sont indissociables. Bien que chargé de souffrances, ce récit poignant, d'une grande puissance évocatrice, dégage grâce à sa désarmante simplicité, à sa concision, à son émouvante sobriété, à son style pur réduit à l’essentiel, une beauté presque douce. Chaque mot semble avoir été choisi et pesé avant d'avoir été fixé sur le papier dans le respect du sujet et du lecteur.

Ce roman du deuil qui prend le lecteur au cœur et le mène au bord des larmes pour ne le lâcher qu’à la dernière ligne avec les propos apaisés de Vincent : « je crois que je serais heureux de lui raconter notre histoire » est aussi un magnifique hymne à la vie et à l’amour sous toutes ses formes. Un sujet fort et un texte simplement émouvant.

Dominique Baillon-Lalande 
(12/03/07)    



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Editions Stock
132 pages - 13,50 €
















Laurence Tardieu est née en 1972 à Marseille. Ses deux premiers romans, Comme un père (2002) et Le Jugement de Léa (2004) ont paru chez Arléa. Elle est également comédienne.