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Jean-Philippe TOUSSAINT


L'urgence et la patience


Une centaine de pages mais un grand livre par sa profondeur et sa résonance.
"Il y a toujours en jeu, je crois, dans l'écriture, ces deux notions apparemment inconciliables : l'urgence et la patience.
L'urgence qui appelle l'impulsion, la fougue, la vitesse – et la patience, qui requiert la lenteur, la constance et l'effort. Mais elles sont pourtant indispensables l'une et l'autre à l'écriture d'un livre, dans des proportions variables, à des dosages distincts, chaque écrivain composant sa propre alchimie, un des deux caractères pouvant être dominant et l'autre récessif, comme les allèles qui déterminent la couleur des yeux."

Dans le premier chapitre, Le jour où j'ai commencé à écrire, Jean-Philippe Toussaint nous présente ses lectures déterminantes, celle en particulier de Crime et châtiment.
Et un mois après cette lecture, ayant connu le frisson de m'être identifié au personnage ambigu de Raskolnikov, je me suis mis à écrire. Je ne sais pas s'il faut y voir un lien direct, une relation parfaite de cause à effet, qui sait un théorème (Qui lit Crime et Châtiment se met à écrire un mois plus tard), mais pour moi il en fut ainsi : un mois après avoir lu Crime et châtiment, je me suis mis à écrire – j'écris toujours.

À propos de l'urgence et de la patience l'auteur nous donne des exemples assez savoureux et inattendus : "Proust n'écrit pas de première version d'A la recherche du temps perdu, il se contente de vivre, il prend tout son temps, comme s'il se relisait avant d'avoir écrit. C'est sa vie la patience, et l'urgence c'est son œuvre." Et pour Kafka, "à côté de ces nuits de fièvre et d'urgence, la pratique de l'écriture est une quête aride au quotidien".
Et plus loin : l'urgence est un état d'écriture qui ne s'obtient qu'au terme d'une infinie patience. Elle est la récompense le dénouement miraculeux.

En l'espace de ces onze chapitres – recueil de textes pour quelques-uns déjà publiés –, il traite ainsi de sa propre lecture et de ses rencontres avec certains écrivains, et notamment Samuel Beckett. Il nous raconte ses rendez-vous avec Jérôme Lindon, ses révélations littéraires…

Il nous parle avec simplicité de l'écriture en général, et nous offre ses réflexions sur sa propre façon d'écrire, sur la manière dont il construit ses décors ou comment ils lui parviennent. Je ne dessine pas les plans de mes hôtels avant de les construire, mais presque toujours je les vois, comme dans un rêve, les hôtels de mes livres sont des chimères d'images, de souvenirs, de fantasmes et de mots.
Ou encore : car s'il est essentiel de retenir longtemps un texte, il est quand même indispensable de le lâcher un jour.

Et puis l'humour, à propos de sa vieille machine à écrire : je la sortais de sa caisse d'emballage et que je défaisais ses multiples protections de kapok et ses différentes strates de plastique transparent et que je la délivrais délicatement de ses parements de soie et de ses housses de dentelles brodées (j'en rajoute peut-être un peu)…

On dirait qu'il nous implique dans cette sorte d'essai en nous invitant à le suivre au cours de ces onze petits chapitres, non seulement à comprendre, ou à aimer mieux, peut-être, la littérature, par cette sensation de familiarité qu'il nous souffle. Et toujours l'humour qui peut souligner ou alors relativiser une description. Il fait une conférence à l'université de Princeton et se promène "dans une de ces longues allées champêtres et studieuses, où étudiants et écureuils vaquent en toute quiétude à leurs innocentes occupations respectives (lire et monter aux arbres, manger des noisettes et forniquer)."

J'aurais envie de continuer ainsi à citer des phrases, car tout est important, jusqu'au trait d'humour le plus simple ou anodin.
Une épure ? C'est court, vif, adroit, et nécessaire.

Anne-Marie Boisson 
(08/04/12)    



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Éditions de Minuit

112 pages - 11 €






Photo © Madeleine Santandréa
Jean-Philippe Toussaint
né à Bruxelles en 1957, auteur de onze livres parus chez Minuit, a obtenu le Prix Médicis 2005 pour Fuir et le Prix Décembre 2009 pour La Vérité sur Marie.




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www.jptoussaint.com