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Emmanuelle URIEN
Tous nos petits morceaux
Un recueil de 12 nouvelles qui toutes ont pour narrateur un miroir. Étrange
objet du quotidien qui "réfléchit" son propriétaire,
témoin muet de l'intimité des êtres et de ce que, parfois,
ils cherchent à cacher. Miroirs de poche ou grande psyché, qui
recueillent les confessions, captent les images et les âmes de celui ou
celle qui s'y regarde. À travers le temps, par le truchement des reflets
qu'ils renvoient, c'est à chaque fois un personnage, le monde qui l'entoure,
une situation nouvelle, qui émergent à travers les mots.
La première nouvelle (Éclats de miroir) est une scène
d'exposition, où des miroirs réunis là par une collectionneuse
dans le capharnaüm d'une cave voûtée, se présentent.
Onze témoins, déformants parfois, qui réécrivent
sous leur angle de vue l'humanité et ses activités ordinaires.
On y croise l'image des femmes, beaucoup : le miroir d'une petite-bourgeoise
de quarante ans qui craint de voir sa beauté engloutie par le temps et
se retrouve sous l'emprise de la grâce à entrer au Carmel (Voir
Dieu) ; La psyché déménagée de la chambre de
la mère à celle de la fille, passée des séances
de toilette de la baronne aux scènes de violence que l'adolescente impose
à son corps (Psyché et Thanatos) ; Celui qui assiste dans
l'intimité d'une autre chambre d'adolescente au rapport sexuel imposé
par un copain de lycée à une jeune fille trop timide (Témoin
spéculaire) ; Les fragments de miroirs, réunis à la
façon d'un mobile pour le nouveau-né, qui reflètent impuissants
un drame de la maternité mal assumée (Gentille alouette).
Le rétroviseur intérieur du bus qui renvoie à la jeune
femme à la tâche de vin son sourire comme une promesse à
l'aube du voyage hivernal (Le jour où la neige a recouvert la plage)
; ou celui de la troublante gémellité de deux fillettes de six
ans lorsqu'un accident vient en enlever une (Le jeu de miroir).
Mais aussi le reflet des hommes avec le miroir de poche du médecin qui
guette le souffle ou son absence chez le malade (L'article de la mort)
; Le miroir mural sans tain d'une chambre d'hôtel habitué aux séances
érotiques qui assiste tous les jeudis aux affres d'un homme solitaire,
mi-Narcisse mi-exhibitionniste, venu là pour noircir les pages de son
carnet intime (La corde pour se pendre) ; Le fou schizophrène
pour qui l'image qui lui fait face pourrait être ce Mister Hyde qui l'habite
et lui pourrit la vie comme dans le roman de Stevenson (Le signe du miroir).
Seul collectif du recueil, ce jeune couple d'amoureux aussi indifférents
à l'agitation de ce bar PMU dans lequel ils se retrouvent le dimanche
qu'au miroir auquel ils tournent le dos (Tentative réussie d'approche
de l'infini), comme si le dialogue muet ne pouvait s'établir que
dans un face à face intime.
Autre insertion toute singulière, Vous êtes tous des anamorphoses
qui plonge dans la nuit des mythes et contes où la colère de la
reine au miroir magique est attisée par la beauté de Blanche-Neige,
où une porte se dessine dans le miroir pour permettre à l'innocente
Alice de le traverser à la découverte d'un ailleurs, où
Narcisse découvre son visage à la surface de l'eau avant de s'y
noyer.
"L'enfant s'observe et rit – ou pleure s'il est jeune et n'a pas admis
le fameux principe de la réflexion spéculaire – mais ne me voit
pas moi.
La femme m'extorque sa beauté, ou ses grains de laideur qu'elle repousse
à coup de pinceaux, se renfrogne, se détourne, me maudit. Si elle
sourit, c'est à elle-même : quand elle se trouve belle, la femme
se le doit à elle seule. [
]
Je vous ai tous vus un par un. Les vieux les jeunes les mal-âgés
les déjà morts les même pas nés. Les beaux les moches.
Les anodins, mais qui n'en pensaient pas moins, et prenaient un soin particulier
à leur toilette du matin. [
] Ne manquait que cette profondeur du
regard qui aurait pu permettre au phénomène physique dont je suis
le vecteur objectif de révéler l'existence."
C'est toute une collection de bribes de vie, de mort, emprisonnées dans
des miroirs, ces objets qui nous renvoient défauts et beautés,
se font tour à tour ennemis ou complices, qui se trouve ici par le truchement
des objets exposés.
Emmanuelle Urien observe ses personnages sous l'angle de leur reflet pour en
restituer, derrière les corps capturés, l'humanité, la
souffrance, l'ambiguïté, parfois. Sous leur apparente froideur,
les miroirs alors réfléchissent les âmes, leur mystère,
leur noirceur intérieure, se font témoins de destins plus ou moins
tragiques, créent des ambiances, noires souvent, laissent affleurer l'émotion.
En douze nouvelles, elle creuse au cur du sensible, au plus profond de
notre intimité. À travers l'innocence mise à mal, le mal-être
refoulé, la dictature d'un idéal de perfection du corps et d'éternelle
jeunesse, la peur du regard de l'autre, la confusion des sentiments, ainsi entraperçus
dans les rayons de lumière pénétrant la cave, c'est à
nos propres interrogations que l'auteur nous renvoie.
On retrouve ici l'univers singulier, tiraillé entre "normalité"
et "étrangeté", cher à Emmanuelle Urien. Mais,
pour respecter la contrainte thématique qu'elle s'est imposée,
elle abandonne pour ce recueil les histoires courtes et grinçantes aux
chutes surprenantes ou brutales de La collecte des monstres,
pour des récits plus installés dans le temps mais protéiformes,
qui s'essayent à des styles différents. Si la construction est
toujours rigoureuse et le style aussi précis et incisif qu'auparavant,
l'auteur y glisse des fantaisies, des licences de ponctuation, des formules
toutes faites étonnamment placées, mâtine son écriture
de nuances subtiles, ose l'humour. N'hésitant pas à introduire
le jeu (phrases "à l'envers", qui ne se décryptent que
par le truchement d'une glace) pour dire le désespoir (La Corde pour
le pendre), à émailler de comptines enfantines le drame le
plus sombre, à habiller d'une légèreté coquine la
conversion religieuse d'une quarantenaire angoissée (Voir Dieu), elle
se permet toutes les audaces. Le lecteur en est séduit.
Il en résulte une vision du monde malignement déformée
par le prisme d'un kaléidoscope, un portrait déstructuré
façon Picasso, pour une humanité prise au piège de sa propre
image, réduite à un reflet sauvagement tailladé dans les
débris d'une glace brisée, portée par une petite musique
entêtante et ravageuse. Une belle réussite !
Dominique Baillon-Lalande
(16/11/11)
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Sommaire
Lectures
D'un noir si bleu
180 pages - 16,50 €
Emmanuelle Urien
née en 1970 à Angers, a déjà publié trois recueils
de nouvelles et un roman.
Pour visiter le site
de l'auteur :
www.emmanuelle-urien.org
Vous pouvez lire
sur notre site
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d'autres livres
du même auteur :
Court, noir, sans sucre
La collecte des monstres
Tu devrais voir quelqu'un
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