|
|
Les murs bleus
Antoine, déserteur de l'armée française en Algérie, condamné à mort par contumace, a vécu en exil au Brésil, dans la région aride du Sertao pendant 7 ans.
Aujourd’hui, il marche dans les rues de Paris sur les traces de son passé. Loirinho, cinq ans, fils adoptif de sa compagne brésilienne Jerusa, doit subir ici une intervention chirurgicale importante et délicate qui peut lui permettre de recouvrer la vue et l’homme s’est proposé pour l’accompagner, enfin résolu à affronter ses fantômes.
« Il n’y a pas d’innocents dans une guerre. Si certains tirent fierté de leurs faits d’armes, d’autres n’en gardent que la douleur, elle se greffe sur leur impuissance et ne meurt qu’avec eux. Eux qui, paradoxalement, n’ont jamais tiré sur personne et ont juste entendu, et qui n’ont pas bougé, tétanisés, cherchant à effacer ce qu’ils ne pourront jamais effacer. Et qui continuent de penser, des années plus tard, en silence, en secret, que leur impuissance les a rendus coupables autant que l’homme qui tenait la gégène. »
Mais les retrouvailles tant attendues avec la France, avec Aline sa compagne de jeunesse, sont teintées de rancœurs et de haine.
« Je ne comprends pas pourquoi tu as désobéi… Tu as trahi ton pays, l’armée, les gens qui t’entouraient. (…) Rester ta femme au regard de la loi, toutes ces années, a été une véritable torture. Tu vois, Henri, il est resté jusqu’au bout, même si ça n’a pas toujours été facile. (…) Lui, il n’a jamais rien regretté. C’est une question d’honneur et de devoir. Il ne s’est jamais senti floué. »
Antoine, ce jeune soldat témoin d’un viol collectif, devenu traître parce qu'il a refusé d’être complice et de tuer, se heurte à l'incompréhension sourde d’une société française amnésique et sourde prompte à condamner celui qu’elle voit revenir avec malaise et mépris.
« Soudain il n’a plus qu’une envie, démesurée, incongrue : celle de repartir le plus vite possible. Quitter la France, sans se retourner. Rayer ses derniers rêves, les foutre au panier, même ce petit rêve ténu, presque ridicule, de se faire comprendre. »
« Personne ne sait rien, personne n’a rien vu, tout le monde s’en fout, chacun s’applique à oublier du mieux qu’il peut. Ce pays pue, il est rance. D’ailleurs, c’était déjà dans son nom. Suffit juste d’enlever le F du début ! »
Heureusement, face au mur du rejet, il y a l’amitié de Louis, camarade des heures sombres et lui-même déserteur. Aujourd’hui égoutier nauséabond, usé, cassé, terré dans une chambre de bonne sordide, il fera de son mieux pour offrir à l’homme et à l’enfant hospitalité, chaleur et solidarité. Mais il faut toute la candeur sensible et maligne du petit Loirinho, amoureux des ânes et curieux de tout, pour introduire un peu de lumière dans la noirceur accumulée des horreurs du passé algérien et de la réalité médiocre du présent parisien. Il sera aidé en cela par la présence à leurs cotés, virtuelle mais constante, de Jerusa dont la simplicité généreuse, restée intacte malgré la pauvreté et la violence du Sertao hostile, rayonne.
Pour bâtir son roman, Cathy Ytak croise point de vue adulte et innocence du regard enfantin, entremêle souvenirs, rêves, cauchemars. Pour aborder cette page d’histoire tachée et douloureuse sans tomber dans les clichés ou sombrer dans le réquisitoire, elle s’appuie sur la simplicité du récit, l’émotion, la mise à nu des sentiments portés par une écriture lucide mais pudique. Le résultat est efficace et touchant et, au final, le lecteur s’abandonne avec intérêt et plaisir à ces pages humanistes, entre ombre et lumière, où le bonheur pointe son nez, malgré tout, derrière la gravité.
Dans ce court roman publié dans une collection pour adolescents (mais bien évidemment non réservée à leur seul usage), l’univers romanesque du superbe Cimetière d’Arhus déjà chroniqué sur ce site se confirme. La singularité à conjuguer histoire collective et individuelle avec subtilité, l’originalité de la construction et la présence derrière les mots d’une musique toute personnelle en font un auteur à suivre absolument.
Dominique Baillon-Lalande
(14/08/06)
|
|
|
Retour au
sommaire
Jeunesse
Cathy Ytak
Les murs bleus
Editions Syros
138 pages - 7,50 €
www.syros.fr
Ce livre a obtenu
le Prix Jeunesse 15/17
à la Foire de Brive 2006
Pour visiter le site
de Cathy Ytak :
www.cathy-ytak.net
Vous pouvez lire
sur notre site
des articles concernant
d'autres livres
du même auteur :
Le cimetière d'Arhus
L'ombre d'Adrien
|
|