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Jean-François BEAUCHEMIN


Archives de la joie


         Archives de la joie, le livre de Jean-François Beauchemin, part du réel, de son univers familier qui se dilue par petites touches pour nous initier au merveilleux, à savoir une roborative observation personnelle de la sagesse animale. L’avant-propos intitulé "Note de l’auteur" dévoile la genèse de son inspiration. Un chevreuil au museau grisonnant musarde dans le jardin de l’auteur qui entrevoit un animal au seuil de sa vie. « On dirait que son subconscient désormais n’est plus d’accord avec lui, avec sa vie forestière si complexe et si passionnée du réel ». Pour lui, la bête se prépare à l’au-delà en faisant le bilan de son existence « où émerge néanmoins une chose demeurée extraordinairement concrète : la joie. Je connais cette joie c’est celle que j’éprouve chaque fois que, comme mon chevreuil, je me retourne et que j’aperçois mon passé […] Je vais le dire carrément : je me suis tout de suite senti plus heureux quand j’ai commencé à aimer mon passé, à le fréquenter puis sans cesse m’y référer ». C’est précisément la tâche de transcender la banalité que s’assigne l’auteur devenu chroniqueur de son émerveillement juvénile. En soixante-sept chapitres avec chacun un titre en chapeau et dont l’évocation de la joie, sous de multiples aspects, tisse le lien.

         Jean-François Beauchemin narre une relation intimiste avec les animaux. Les échanges sont possibles, peut-être, pense-t-il, parce rien ne les explique. « Je continue de m’émouvoir de ces existences timides, parcourues de méfiance et de méditations forestières, embellies de jeux, de courses et de souvenirs alignés […] N’empêche : nous marchons eux et moi du même pas, et levons chaque soir les yeux vers les mêmes étoiles. » À ce partage joyeux, pour lui métaphorique, le narrateur déplore n’avoir accès que par intermittence, souvent par l’entremise des chiens. "Amitié de passage" fait cheminer les pensées de l’auteur à propos d’un chien errant recueilli trop peu de temps. « Je réfléchissais à la vie que nous pourrions vivre ensemble, dans cette espèce d’ardeur intellectuelle propre à ceux qui instruisent par leur rapport avec la nature et les gens. » Auprès de la tombe d’une chienne morte, il y a quelques temps, notre écrivain trouve un moment d’apaisement pour « écouter à distance » les nouvelles d’un monde en feu. La sagesse souveraine revient-elle à son chat Scooter pour lequel la religion pourrait bien tenir une grande place lorsque les aléas de l’actualité le dépassent ? Le matou préfère « s’émouvoir de la poésie fonctionnelle d’une pluie ruisselant dans la gouttière […] Ce n’est qu’une hypothèse, mais se pourrait-il que Dieu se manifeste en Scooter, que Scooter en soit conscient, mais cela ne lui apparaisse pas assez important pour en faire tout un plat ? »

         La mort, entre autres, fait partie des chroniques. Une évocation clairvoyante et sans appréhension, tenue à distance grâce à l’humour, accompagne la vie du narrateur. Très tôt, elle campe dans ses préoccupations de jeunesse. « C’est pourquoi j’ai passé une bonne partie de mon enfance à tenter de la semer en m’adonnant à la course à pied. » Une autre fois, il questionne, à l’occasion, une tortue pour savoir si « elle aussi avait ce sentiment d’un grand cactus épineux et fleuri poussant au centre de sa vie ». La tortue s‘éloigne en plongeant dans l’eau, laissant pour seule réponse un "Plouf", titre du chapitre. L’au-delà ne semble pas, non plus, hanter l’esprit d’un très vieux cheval qui trouve risible la manie de notre chroniqueur « de faire de l’absolu avec l’approximatif. » Cela ramène sur terre pour profiter d’une philosophie plus abordable et goûter la vie. « Nous n’avions été lui et moi que deux êtres s’éloignant de leur enfance qui inlassablement les avait rattrapés. » Une esquisse de réponse est soutenue par un lièvre. Ce dernier, libéré d’un collet par Jean-François Beauchemin, expire quelques instants après. Surprise, un soir, l’animal lui apparaît et témoigne de son expérience de la mort. « J’ai trouvé compliqué d’expliquer qu’il n’y avait rien, ni objets, ni images, ni souvenirs ni pensée, ni sentiment ni conscience ; ni Dieu, ni bêtes, ni personne. Mais le plus difficile reste encore de dire sans passer pour un fou que j’ai néanmoins rapporté de ce séjour l’impérissable conviction que ma vie n’est pas inutile… »

         Et avant la naissance, alors ? Jean-François Beauchemin possède une petite idée sur le sujet. « Avant de naître, je m’efforçais de faire les choses par amour sachant que j’aurais bientôt à les faire surtout par nécessité. » Une tendance se dessine-t-elle pendant notre vie prénatale ? « Souvent à ce stade de ma vie, le ciel en tournant sur ses gonds faisait un bruit de pages qu’on tourne. Il me semble assez clair que mon goût pour les livres et pour la lecture remonte à cette époque et à ces heures passées à épier cette espèce de froissement de feuilles venu du ciel. » L’écriture occupent quelques chapitres disséminés. L’un de ses professeurs conseille à l’écrivaillon d’améliorer son "Vocabulaire" s’il vise, à l’avenir, l’écriture de livres. Fort de cet avis, il demande à ses parents "L’Encyclopédie de la jeunesse", consacre tout son été à sa lecture, s’épuise et s’arrête au quatrième volume. Trop soporifique, l’auteur en herbe opte alors pour la course dans les champs et la forêt, flâne sur les rives d’un cours d’eau empli de grenouilles, construit des cabanes avec un ami. Sans peine, son vocabulaire s’enrichit et se développe grâce aux contacts humains. Morale de l’histoire : « La littérature n’est jamais loin du monde réel. » Devenu un écrivain reconnu, il s’étonne du succès de l’un de ses livre« Des réalités remodelées », et comment il avait fait pour l’écrire. « Mais, je ne comprenais pas non plus comment mes arbres s’y prenaient pour croître ni comment allaient un jour apparaître au bout de leurs branches tous ces fruits. » "La gloire " conte, après l’enchantement du succès, comment un rire d’enfant, découvrant les dessins de l’auteur, ensevelit une éphémère notoriété et la rend désuète au regard du naturel.

         Notre chroniqueur rend hommage à la sagesse féminine. Il doit beaucoup à sa mère. « Elle savait qu’il est difficile de corriger la bêtise mais elle gardait confiance, car elle constatait en observant ses enfants que l’habitude de la réflexion pouvait s’acquérir […] L’amour qu’elle nous donnait nous ôtait un gros poids sur les épaules. » Une promenade dans la nature et la compagnie de son fidèle chien, lui font prendre conscience qu’il n’est pas nécessaire de croire en Dieu pour avoir le sentiment du divin, revenir sur terre où « Enfin j’ai réfléchi à ma chance, surtout celle de vivre depuis trente ans avec une femme ainsi faite que je doive, pour la comprendre, non pas penser, mais rêver. » Et pourtant, il a côtoyé Dieu qui s’assoit près de lui, le jour de ses huit ans. La rencontre débute par un silence gêné. Dieu parle de tout et de rien. L’enfant conclut qu’il n’est pas là pour exprimer très nettement une pensée claire mais « plutôt suggérer quelque chose, comme dans les poèmes de Mallarmé ou d’André Breton. » Jean-François Beauchemin, à l’occasion d’une balade croise Jésus et l’interroge : « "Ressentez-vous parfois qu’il vous manque quelque chose ?" Il a répondu que bien entendu d’importantes carences demeuraient en lui mais qu’il avait un jour décidé une fois pour toutes d’être reconnaissant pour ce qui lui avait été accordé, au lieu de se lamenter sur ce qui lui avait été refusé. »

         Jean-François Beauchemin inventorie ses Archives de la joie en une vision du monde cohérente avec son mode de vie attentif et une écriture vivifiante. L’art, aussi, de précipiter des émotions et de les élever au-dessus de la simple constatation, transportant vers d’autres rivages délaissant le terre-à-terre. L’homme est aussi un animal qu’il entrevoit avec des dispositions raisonnables s’il est soucieux de la vie naturelle. Une lecture où l’on picore, à lire en se laissant guider et apprécier ce qui chez autrui l’anime. Au lecteur d’imaginer ensuite son propre canevas.

Michel Martinelli 
(21/06/24)    



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Lectures







Jean-François BEAUCHEMIN, Archives de la joie
Québec Amérique

152 pages - 16 €

















Jean-François Beauchemin,
né au Québec en 1960,
a déjà publié plus d’une vingtaine de livres.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia





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