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Nathalie DÉMOULIN


Cartographie d’un feu


Jason Sangor, qui dirige une entreprise dans une vallée du Jura, voit sa vie totalement perturbée par un incendie qui s’est déclaré dans la montagne.  On est en février, les pentes sont enneigées, mais les sapins brûlent sans discontinuer et le feu ne cesse de progresser.
Carole, sa femme, a quitté leur maison haut perchée et menacée par les flammes pour se réfugier dans la demeure familiale de son mari au bord du lac.
Jason se retrouve confronté à son passé, son enfance, son père, son frère, tout un univers qu’il préfère éviter depuis des années.

Le roman dure le temps de l’incendie, plusieurs jours pendant lesquels on accompagne Jason dans ses déambulations et ses pensées, ses souvenirs et ses émotions.
Parmi ses préoccupations il y a l’entreprise, bien sûr, qui emploie la moitié de la ville, et qu’il a dû développer lorsque son père a cessé de s’en occuper, dix ans plus tôt. Spécialisée dans l’extraction de minerais, elle existe depuis l’ouverture des premières mines au XVIIe siècle. Jason lui a donné un nouvel élan avec « les assemblages mécano-soudés de superalliages. Nous fournissons l'aéronautique, le nucléaire mais aussi le secteur médical. Nous soudons des formes complexes, des matériaux qui seront bientôt plus précieux que l'or. Je parle de métaux de transition comme le cobalt, le titane ou le tungstène. Je parle de richesses prises aux ténèbres de la terre, de celles qui dorment dans nos montagnes. C'est moi qui ai développé la fabrication d'outils chirurgicaux. Et c'est ce secteur qui nous permet aujourd'hui une croissance exceptionnelle à deux chiffres. » L’usine est peu à peu envahie par la fumée et les cendres. L’incendie finira-t-il par la dévorer ?

Le retour dans la maison de l’enfance est aussi une épreuve. Les relations avec son père sont complexes, quasi inexistantes. C’est un homme dur, froid, exigeant, « un homme sans amis mais qui a ses obligés, une cour aimantée par ses millions, malmenée, bousculée, toujours remplie d'espérance. C'est tout juste s'il me calcule, s'il me jette un regard. Il a sa table attitrée au restaurant de la ville, d'où il voit tout le monde, où tout le monde le voit. Il m'arrive de faire des kilomètres pour éviter de manger là. »
Depuis son retrait de l’entreprise, le patriarche consacre son temps à la peinture. Il s’isole dans son atelier, ne parle avec personne sauf avec Carole pour partager autour de l’art et des expositions. Pour Jason, la cohabitation durant cet incendie s’annonce difficile…

D’autant plus que dans la maison familiale, il y a aussi son frère, Jonas, qui évolue dans un monde qui lui est propre, errant dans les bois – où il s’est construit une cabane – et autour du lac, parfois un massacre de cerf sur la tête…
Leur mère est morte depuis vingt ans. C’était une championne de ski. Elle les a beaucoup entraînés et Jason a participé à de nombreuses compétitions. Mais pas Jonas. Il préférait visiter les cimetières et voler les céramiques mortuaires, surtout les fleurs, dans un rayon de cinquante kilomètres. Les gendarmes ont dû faire une enquête et les ont retrouvées dans la cabane de Jonas. Il a été interné pendant quelque temps puis il est revenu à la maison familiale.

Pour Jason, le retour dans cette maison, la cohabitation avec son père et son frère, tout le ramène au passé et un visage revient le hanter. Biljana. Un souvenir d’adolescence. Une réfugiée serbe « débarquée au collège en cours d’année et qui s’était avérée courir plus loin plus vite plus acharnés que nous. Il semblait impossible de tomber amoureux de cette fille déjantée, lunatique. » Et pourtant… Elle est repartie depuis longtemps en Serbie mais dans cette atmosphère de fin du monde, au fil de son errance dans les rues enfumées, il est obsédé par son image. « Oui, j’étais intoxiqué par l’illusion, depuis quatre jours, je vivais dans un monde parallèle, je la cherchais partout. »

Au fil des pages, la situation continue à se dégrader et l’ombre de la mort vient planer sur cette famille.

Nathalie Démoulin, dans ce roman, réussit à créer une atmosphère très particulière, sombre et menaçante, propice à la réflexion et à la remise en question. Nous suivons avec empathie ce personnage bousculé dans ses certitudes et son quotidien, obligé par la violence de l’incendie à se réfugier dans la maison de son enfance et ses souvenirs d’adolescent.

Serge Cabrol 
(18/03/24)    



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Denoël

(Janvier 2024)
160 pages - 17 €

Version numérique
11,99 €












Nathalie Démoulin
est directrice littéraire aux éditions du Rouergue. Cartographie d’un feu est son cinquième roman.