Retour à l'accueil du site





Liam McILVANNEY

Retour de flamme


        Une mère et sa petite fille, presque encore un bébé, meurent dans un incendie. Le roman de Liam McIlvanney, Retour de flamme, débute par un moment fort et tragique. En quelques pages, la mère prend conscience du drame et du peu de chances de survivre.
La scène est saisissante et le lecteur, malgré l’effroi, déjà sous le coup d’une écriture captivante.

     L’auteur situe son histoire à Glasgow et, amoureux de la ville, il déplie progressivement, au fil de l’enquête, la carte géographique de Glasgow. « La meilleure vue sur la ville, la vue qui justifiait à elle seule ces courses matinales. Le canyon de grès de Gardner Street dévalait devant vous, tel un tremplin de saut à ski. La rue la plus pentue de Glasgow. » La ville possède une âme dont ne peut plus se passer un policier, « les cheveux bruns, les yeux verts ». Il aime la parcourir au petit matin en faisant son jogging. Exilé de Glasgow et de retour, il court également après un homme, Walter Maitland. « Toi qui es revenu pour ça. Le job, c’était de trouver Walter Maitland. C’était ainsi qu’il le formulait. Pas coincer Maitland ni arrêter Maitland. Trouver Maitland. En un sens trouver Walter Maitland était facile. Il vivait dans une grande maison à Bearsden. On pouvait remonter son allée et frapper à sa porte. Mais trouver Walter Maitland dans ses crimes ? C’était ça le défi. McCormark se représentait tous les méfaits de la ville. » De retour chez lui, essoufflé, une inspectrice, Liz Nicol attend McCormark pour l’emmener sur le lieu d’un meurtre.

        Un homme gît sur une véritable mer d’immondices, dans un quartier, ancien village médiéval rattaché à Glasgow et depuis balayé par l’industrialisation avant de devenir un bidonville ouvrier. Le cadavre découvert, un homme frappé à mort, de grande taille n’est pas identifiable. Sa tête, recouverte d’une cagoule maintenant retirée par un clochard voulant s’assurer que l’homme est bien mort, montre un visage tuméfié, une tignasse de cheveux blancs et une barbe de trois jours. Il est vêtu d’un bleu de travail beaucoup trop petit pour lui et provenant sans doute d’une friperie. Il ne s’agit pas d’un vol car il porte des bagues de valeur et une chevalière avec une sorte de rubis. L’enquête est confiée à McCormark, surpris, il a déjà un job prioritaire. L’inspectrice lui avoue que l’ordre vient de l’inspecteur divisionnaire Haddow. « Il a dit que nous avions consacré bien assez de temps à l’affaire Maitland, Sir. Que c’était le moment de passer à autre chose. »

        McCormark, un policer d’âge moyen et de belle corpulence, ressent un mal-être, de temps à autre, à cause de sa vie intime qu’il garde secrète, encore objet d’opprobre en ces années soixante-dix. Autrement, une certaine célébrité lui colle à la peau. Il a résolu, quelques années auparavant, l’affaire du Quaker et mit fin aux agissements d’un meurtrier en série. Le Quaker, titre du précédent livre de Liam McIlvanney, est résumé rapidement dans Retour de flamme. Cette enquête explique le bannissement de McCormark. « McCormark était un problème. Pire, c’était une erreur. Une erreur commise par quelqu’un d’autre, mais qu’Alan Haddow allait devoir réparer. » La résolution de l’affaire a contribué à la chute d’un certain Peter Levein, grand patron de la police judiciaire mais également ripoux. Du coup, la réputation de balance poursuit McCormark. Faute impardonnable pour Haddow, son supérieur. Levein promettait certains arrangements de carrière à Haddow qui a choisi l’inspecteur Iain Shand pour surveiller et tenter de juguler McCormark. Les rapports compliqués entre policiers sont tempérés à coups de « Sir » et « Fiston ». La haine et la rancœur, l’attente du faux pas, le rôle de fusible, autant d’obstacles dont McCormark s’accommode. Il joue la décontraction avec les membres de son équipe, voire une bonhommie espiègle.

        À cette époque, en 1975, la police de Glasgow est restructurée, « des agentes introduites » dans toutes les divisions ne sont pas forcément en odeur de sainteté.  « L’intégration des femmes aussi avait foutu le bordel. » Liz Nicol, jeune inspectrice en manque de confiance, apprécie McCormark. « Le deuxième jour, mais on aurait dit que c’était le premier. Pour Liz Nicol, chaque jour semblait être le premier. À quel moment, s’il existait, avait-on enfin l’impression d’être arrivé, de ne pas devoir faire ses preuves chaque jour comme un débutant ? » Elle lui sert aussi du « Sir » respectueux. Pendant l’enquête, ses qualités s’épanouissent. Devenue tenace et de bons conseils, elle n’a pas froid aux yeux, aide efficacement McCormark. Cependant, Liz est malgré tout la cible de l’inspecteur Iain Shand. Des discussions virulentes les opposent. Elle ne se laisse pas impressionner. « Une pute est une femme, espèce de connard. La fille de quelqu’un. La mère de quelqu’un. » Shand est pour McCormark un fruit pourri dont Liz découvre des linéaments véreux. Quant à Goldie, l’ancien coéquipier de McCormark du temps de l’affaire du Quaker, il a rejoint volontairement son ex-chef tout en gardant quelques griefs à son égard. La mutation de McCormark ne l’avait pas aidé. Pendant l’absence de celui-ci, il a subi, par ricochet, la colère de collègues qui reprochent à McCormark d’être une balance mais Goldie préfère la droiture à sa carrière.

      Liam McIlvanney mêle habilement plusieurs affaires. L’incendie, cause apparemment indirecte, dans un premier temps, de la mort de l’inconnu retrouvé dans les détritus, révèle bien des turpitudes et justifie en partie le titre : Retour de flamme. Acte crapuleux, selon la rumeur sur fond de guerre de gangs, qui aurait été commandité par Walter Maitland. À son tour, ce dernier subit des dégâts. L’explosion du bar de son frère provoque de nombreuses victimes, outre la mort du frère de Maitland, l’inspecteur Iain Shand en fait partie. Représailles du clan ennemi ou bien un attentat de l’IRA, option préférée du chef de la police ? Des rivalités, souvent ignorées entre catholiques et protestants, trament l’histoire de Glasgow. L’auteur attire notre attention, au passage, sur le sujet. Nous en restons à cette esquisse car le roman de Liam McIlvanney est riche en rebondissements, en personnages laissés volontairement dans l’ombre pour cette présentation ; donc à découvrir ! Les personnages sont étonnants de vie et de présence, attachants même lorsqu’ils sont antipathiques. Esquissés avec précision, leur trajectoire, suffisamment étayée par l’auteur, rend chacun de ses personnages indispensables dans le fil de l’intrigue, du plus important, comme McCormark, à la plus insignifiante prostituée ou même un enfant courant sur une digue. Des états d’âme et des retours sur le passé enrichissent la psychologie des personnages et l’atmosphère mélancolique de toute une époque. En 1975, pas de portables, pas d’ADN. Il faut composer sans, et pourtant l’enquête progresse dans une intrigue savamment tissée, posément déballée aux lecteurs par une narration ciselée.

        Au terme d’un récit fluide de près de six cents pages, le lecteur a sondé et exploré nombre de recoins de Glasgow, croisé une multitude de personnages sans pour autant se perdre dans une foule, découvert, presque en témoin, des événements et une population de gens ordinaires ou de petits malfrats, de femmes de mauvaise vie, quelques notables politiques impuissants et une police corrompue. La dernière page tournée est un crève-cœur. Le livre se ferme et on espère, sournoisement, que Glasgow est un repaire d’ignominies crapuleuses dans lequel McCormark aura à faire, pour un nouveau plaisir de lecture.

Michel Martinelli 
(03/06/24)    



Retour
Sommaire
Noir & polar







Métailié

(Mars 2024)
592 pages - 23 €

Traduit de l’anglais
(Écosse) par
David FAUQUEMBERG














Liam McIlvanney,
né en Écosse, est professeur de littérature à l’université Otago, en Nouvelle-Zélande et critique littéraire à la London Review of Books. Retour de flamme est son quatrième roman.