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Loïc LE GLOAHEC

Le Roi des Blancs

Antoine est né dans une plantation à Saint-Domingue à la fin du XVIIIe siècle. Fils d’une esclave, esclave à son tour, sa vie est un roman qu’il entreprend de raconter dans un livre surprenant.
Sa mère vivait une enfance heureuse et paisible au Bénin. À l’âge de quinze ans, elle est volée par des marchands d’esclaves qui l’emmène comme un butin de guerre jusqu’à Ouidah d’où elle sera embarquée sur un navire venant de Nantes et jetée dans la cale pour un voyage infernal jusqu’à Saint-Domingue. Les pieds entravés, subissant tantôt la chaleur torride, tantôt le froid glacial, victimes de la maladie et de la mort, les prisonniers sont traités plus mal que des marchandises, les nombreux cadavres jetés par-dessus bord.
 Dès la descente du navire, un prêtre baptise tous les esclaves à la hâte. La mère d’Antoine est affectée à la culture de la canne à sucre, un travail de forçat. Elle travaille dur, fouettée sans ménagement mais Antoine vit avec les autres petits d’esclaves une enfance heureuse. À l’âge de six ans, Antoine doit travailler. Un garçon à peine plus âgé que lui, mais qui a connu la liberté en Afrique et la violence de la séparation, prénommé Toussaint, le prend sous sa protection, lui montre le travail et devient son ami. Ils s’occupent tous les deux des animaux domestiques et jouissent d’une certaine liberté. Jusqu’à ce que, à leur tour ils soient chargés de couper la canne sous le fouet des commandeurs.
A l’occasion d’un chantier où Antoine et Toussaint sont envoyés, ils rencontrent des hommes d’autres plantations. Ils apprennent que des esclaves se cachent dans les forêts épaisses de l’île, de plus en plus nombreux chaque jour. Le chef des hommes libres, Bassembo, appelle les braves à le rejoindre et à tuer leurs maîtres. Si Antoine n’adhère pas à ces projets violents, Toussaint se sent prêt à tenter sa chance.
La mère d’Antoine meurt, encore jeune mais usée par des conditions de vie effroyables. Après l’avoir enterrée, Antoine et ses amis se recueillent un moment. Très vite un commandeur ordonne de se remettre au travail. Sous l’emprise de la rage, Antoine lui lance une grosse pierre au visage. Antoine est alors jeté au fond de la ravine. La jambe brisée, il est laissé pour mort. Soigné par Louise à l’hôpital de la plantation, il apprend à lire et à écrire et à « parler comme le maître », c’est-à-dire en français. Après quelques semaines, Antoine lit déjà la Bible que Louise lui a prêtée. Le propriétaire de la plantation, Monsieur de Varenne, justement en visite, est impressionné par l’intelligence d’Antoine et décide de le mettre à son service et de parfaire son éducation.
Les sentiments d’Antoine sont partagés entre l’amour et la haine. Il exprime son ambivalence comme il le fera à d’autres moments de sa vie. « Allais-je devenir le laquais de celui qui avait fait enlever mes frères et mes sœurs, les avait aliénés à ses terres et marqués de son blason brûlant, s’appropriant à jamais leur chair meurtrie ? Allais-je devenir le "bon sauvage", le petit prodige, le nègre savant de l’homme dont l’odieux commerce avait fait périr ma pauvre mère […] Je ne savais que penser de ce nouveau maître, en qui je voyais tantôt un roi, tantôt un tyran ; tantôt un noble seigneur, tantôt un marchand d’esclaves, cupide et brutal… »
Antoine devient le laquais de Monsieur de Varenne mais bénéficie d’un précepteur pour continuer son instruction. Découvrant pour la première fois la maison du maître, il s’indigne « devant tant de richesses et de futilités ».
 Puis Monsieur de Varenne retourne en métropole et propose à Antoine de l’y emmener. Il découvre de nouveaux paysages, le froid et la misère en Bretagne où le navire a accosté. Et il s’étonne de croiser la souffrance et la faim, « tels des oiseaux de malheur qui auraient franchi les mers pour venir me troubler. »
L’hiver glacial de l’année 1788-1789 succède à un été torride. Les récoltes ne nourrissent plus le peuple. Cette famine associée au mouvement des Lumières annonce la Révolution française. Monsieur de Varenne réagit en aristocrate qui voit ses biens et ses privilèges voler en éclat. Après la prise de la Bastille, il craint pour ses biens, pour sa vie. Les esclaves se révoltent à Saint-Domingue, réclamant la liberté promise par la Révolution. Au lieu de quoi, la traite a été développée, les promesses trahies. En 1791, les esclaves se rebellent et défilent aux cris de « Vive le roi ! ». En apprenant cette révolte, Antoine a honte de lui. « Ma liberté s’est faite au prix de la plus basse servilité, quand vous, nobles forçats, vous l’avez conquise à force de bravoure et d’audace ! Rougissez de moi mes frères, je suis le plus lâche et le plus vil d’entre vous… »
Ce roman est écrit dans un style du XVIIIe siècle qui lui donne un parfum suranné mais cohérent avec la vie et les lectures du narrateur. Un amour impossible entre Antoine et Héloïse, la fille de Monsieur de Varenne ajoute une touche romantique.
 Est-ce de la naïveté ou de l’idéalisme, Antoine est subjugué par son maître et se met à son service avec abnégation. Quand les échos de la Révolution parviennent au château, les autres domestiques sont moins prompts à obéir mais Antoine jure une fidélité éternelle et tient promesse. Tous ces éléments tirés de l’histoire donnent envie d’en savoir plus.

Nadine Dutier 
(04/04/24)    


Marc BELISSA

La Révolution française et les colonies

Pour prolonger la lecture du roman de Loïc Le Gloahec, Le Roi des Blancs, chroniqué ci-dessus, dont l'histoire se déroule à la fin du XVIIIe siècle entre Saint-Domingue et la métropole française, nous vous conseillons l’essai de Marc Belissa, La Révolution française et les colonies, très précis et extrêmement documenté, qui couvre la période de 1763 (fin de la guerre de 7 ans) à 1804 (Proclamation de la République d'Haïti – ex St-Domingue – par Dessalines. En effet, la Révolution française et les colonies est un thème rarement abordé et très mal connu du grand public si ce n'est au travers de généralités telles que l'abolition de l'esclavage... Tout d'abord, à la veille de la Révolution, "l'empire" colonial de la France n'a rien à voir avec celui du XIXe siècle : il se concentre principalement aux Antilles et à Saint-Domingue en particulier avec qui la métropole tire profit du commerce du sucre et des esclaves.
Si la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen et l'abolition de l'esclavage peuvent nous sembler aujourd'hui des évidences, Marc Belissa nous montre avec beaucoup de pertinence les réticences et l'influence des colons au sein de l'Assemblée. Par ailleurs, abolir l'esclavage ne veut pas dire renoncer aux colonies... Les débats sont houleux... et documents à l'appui, l'auteur restitue les positions – très souvent méconnues – des personnages politiques de l'époque.
Rarement, dans un livre d'histoire nous avons autant de précisions sur la situation dans les colonies en particulier sur les relations complexes entre les différentes 'catégories' de la population : colons, libres de couleur (esclaves affranchis), esclaves, marrons (esclaves ayant fui les plantations) etc. Par ailleurs, il faut rappeler qu'à la fin du XVIIIe siècle le délai d'acheminement des informations entre la France et St-Domingue – et réciproquement – sont de l'ordre de trois mois. Ainsi, la décision d'abolir l'esclavage à Paris n'est connue que bien plus tard dans les colonies où paradoxalement elle sera accueillie par les esclaves aux cris de 'Vive le Roi'; en effet cette décision est perçue comme ne pouvant venir que d'un 'bon roi' et non des colons... De la même manière les révoltes des esclaves ne sont bien souvent connues en France qu'au travers des versions des esclavagistes. Marc Belissa aborde également dans son ouvrage l’idée largement répandue que c'est la Révolution française et les idées des Lumières qui auraient favorisé la révolte des esclaves. Son analyse est nettement plus nuancée !  En effet ces révoltes qui devaient aboutir à l'indépendance – même si elles étaient en germe chez quelques Conventionnels – n'étaient pas dans les projets de leur grande majorité et a fortiori dans les projets de Napoléon...
La Révolution française et les colonies :  un livre qui éclaire magistralement tout un pan de cette période historique mal connue.

Yves Dutier 
(04/04/24)    



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Lectures







Loïc LE GLOAHEC, Le  Roi des Blancs
Le Passeur

(Janvier 2024)
384 pages - 19 €














Loïc Le Gloahec
Le Roi des Blancs
est son premier roman.

































































Marc BELISSA, La  Révolution française et les colonies
La Fabrique

(Novembre 2023)
320 pages - 20 €







Marc Belissa,
historien spécialiste du XVIIIe siècle, a déjà publié de nombreux ouvrages.