Retour à l'accueil du site





Alice ZENITER


Sombre dimanche


Imre Mándy est né en 1973 près de Budapest et, au fil des événements qui jalonnent sa vie et de ceux vécus par sa famille avant sa naissance, c'est tout un pan de l'histoire de la Hongrie que nos parcourons sur les traces de ce garçon plutôt timide et réservé dont nous partageons le quotidien, les réflexions, les rêves, les colères, les bonheurs et les déceptions… Un très beau roman, tendre et poétique, au plus près des préoccupations du personnage et des bouleversements de son pays.

Imre vit dans une petite maison enclavée entre les rails d'une gare de Budapest, une maison construite par son arrière-arrière-grand-père, une maison où il vit avec ses parents, sa sœur et son grand-père. Très vite, Imre est confronté à des secrets de famille, des choses qu'il observe et dont personne ne veut parler. Ainsi son grand-père se soule tous les ans, le 2 mai, chantant et insultant Staline et les jardiniers. Ainsi son père, Pal, ne porte pas le prénom d'Imre comme tous les aînés de la famille, de génération en génération, et ses sœurs l'avaient surnommé "Ruskoff". Mais quand Imre pose des questions, sa mère lui répond invariablement "le petit curieux devient vieux trop tôt". Heureusement pour le lecteur, quelques retours en arrière permettent peu à peu de comprendre ces mystères et de voir comment ils sont liés à l'histoire du pays.

Les parents d'Imre travaillent à la gare. Lui tenait un petit café coincé entre quatre rideaux de plastique frangés qui conservaient un peu de chaleur et le brouillard des cigarettes fumées à la dizaine par ses clients. Il vendait des sandwiches à la viande panée connus pour être énormes mais secs comme les pierres, des roulés au pavot et des barres de chocolat Balaton[…].
Quant à Ildiko, elle s'occupait du guichet des voyages intérieurs. Elle rêvait de passer un jour au comptoir des voyages internationaux mais sous le régime communiste il y avait trop peu de voyageurs autorisés à sortir du pays pour qu'on puisse envisager la création d'un nouveau poste.

La vie d'Imre change avec l'arrivée de Zsolt, qui a deux ans de plus que lui et dont le père est contrôleur à la gare. Ils vont grandir ensemble, passer de l'enfance à l'adolescence et fantasmer sur les "Californiennes".
Après la chute du mur, les échanges sont plus faciles entre la Hongrie et le reste du monde et, un après-midi de 1993, Imre qui se promène sur l'île Marguerite, repère une fille allongée sur la pelouse.
Elle était blonde. Elle bronzait étendue sur un paréo, vêtue d'un haut de bikini et d'un short en jean. Elle portait des lunettes de soleil surdimensionnées. Le bas de son visage paraissait minuscule en comparaison. […]
Il s'était rebaptisé Imy, sûr qu'aucun Américain ne saurait rouler le "r" de son nom proprement.[…]
Il tendit la main à la Californienne encore à demi allongée sur la pelouse.
- I'm Imy.
- Kerstin, répondit-elle, Kerstin Weinhamer.
Pendant un instant, il douta, tentant de s'accrocher encore à son rêve. Mais elle ajouta : From Kö1n. Et Imre dut se rendre à l'évidence, aussi déplaisante fût-elle : la jeune femme était allemande.

Le livre est aussi traversé par la mort, notamment la mort des femmes de la famille, celle de la grand-mère Sara, cause des souleries du 2 mai et qui reste mystérieuse jusqu'aux dernières pages du roman, celle des sœurs de Sara (envoyées par les Russes dans une mine de sel. Après plusieurs mois de travaux forcés, elles avaient décidé de mettre fin à leur vie en s'empoisonnant avec le sel remonté des galeries. Elles en avaient avalé de grosses poignées grises et crissantes. Sara ne les avait jamais revues.), celle d'Idilko, la mère d'Imre, fauchée par un train, une mort dont son mari se sent responsable…

Tous les personnages sont très attachants, avec leurs faiblesses ou leurs excès, et nous suivons avec émotion l'histoire de cette famille sur trois générations, dans le contexte sobrement évoqué des événements qui ont bouleversé le pays au fil du XXe siècle.

Serge Cabrol 
(17/02/13)    



Retour
Sommaire
Lectures








Albin Michel

(Janvier 2013)
288 pages – 19 €








Alice Zeniter
née en 1986, est normalienne et doctorante en études théâtrales. Sombre dimanche est son troisième roman. Le précédent, Jusque dans nos bras, a été repris en Livre de Poche.