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Bergsveinn BIRGISSON


La lettre à Helga



Bjarni est un homme simple, façonné par son métier rude et exigeant d'éleveur de moutons. Sentant la fin toute proche, il décide d'écrire à Helga, la femme qu'il a toujours aimée mais qu'il n'a jamais épousée. Cette longue lettre est l'occasion pour lui de revenir sur les choix qu'il a faits.

Immédiatement, le lecteur se trouve immergé au cœur de l'Islande, dans un univers qui possède la saveur des légendes : Je jetai un coup d'œil aux Récifs des Enfants où des aigles femelles dévoraient jadis en toute tranquillité les bébés sur lesquels s'étaient refermées leurs serres dans les prés des fermes, tandis que les mères hurlaient sur la grève et que le ressac empêchait tout bateau de sortir.

Là-bas, les hommes sont éleveurs de moutons, dénicheurs d'œufs d'oiseaux de mer, contrôleurs des provisions de fourrage. Leurs journées sont réglées par le soin des bêtes et rythmées par la rigueur des saisons. Survivre aux hivers enneigés est une épreuve. Bjarni raconte ainsi le jour où il dut traverser la mer "surplombée d'énormes congères durcies sur tout le littoral nord" pour aller chercher le cadavre d'une vieille femme qu'il oublia, pressé par la tempête qui approchait.
Signe irréfutable de mauvais temps, les vagues commençaient à se briser sur les écueils de la Baleine. Notre bateau semblait être prêt de se détacher du point d'accostage, pourtant relativement à l'abri du vent de nord-ouest. Josteinn et moi prîmes congé en vitesse pour regagner la barque. Il me semblait bien que nous oubliions quelque chose, mais cette pensée ne tarda pas à s'envoler : il fallait faire vite si nous ne voulions pas rester bloqués chez le vieux Gisli ou voir le bateau se fracasser contre les rochers.

A travers ce long monologue, Bjarni fait revivre des coutumes et un passé disparu. Loin de toute civilisation, l'expérience des anciens fait office de vérité et il soigne la gale des moutons à sa manière : Les gens de la capitale donnaient des directives très claires quant à l'utilisation de l'urine étendue d'eau pour y baigner les bêtes, mais la recette du préfet Magnus Ketilsson pour la balnéation avait ma préférence : je jetai dans l'urine pure des algues et de la cendre de bois, additionnées de bitume, de pisse humaine et de quelques feuilles de tabac.

C'est dans cet univers de grands espaces, de nature omniprésente et dans la promiscuité des bêtes que Bjarni va vivre une passion aussi intense qu'éphémère. Il revient sur ces moments partagés avec Helga et lui parle d'amour avec une sensualité animale et primitive, en comparant son corps à celui des brebis qu'il tâte. On est d'abord surpris puis on se laisse porter par cette étrange confession d'un homme qui a laissé passer l'amour de sa vie. Par incapacité à quitter la campagne et tout ce qu'elle représente pour lui ou par lâcheté ?

Cette lettre-confession, qui fait revivre une époque disparue, à la lisière de la modernité, prend les accents d'une tragédie amoureuse et nous emporte, à travers l'Islande, sur les traces d'un homme qui aima une femme et le lui dit bien trop tard. Un livre touchant, âpre et sensuel.

Enora Bayec 
(22/08/13)    



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Editions Zulma

(Août 2013)
144 pages - 16,50 €


Traduit de l'islandais
par
Catherine Eyjólfsson





Photo © Zulma
Bergsveinn Birgisson,
né en 1971, titulaire d'un doctorat en littérature médiévale scandinave, porte la mémoire des histoires que lui racontait son grand-père, lui-même éleveur et pêcheur dans le nord-ouest de l'Islande.