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Dermot BOLGER
Martin ne se fait pas d'illusion sur son rôle politique ni sur celui du secrétaire d'état qu'il accompagne, un élu de province appelé au gouvernement parce qu'il représente une circonscription nécessaire à la majorité du parti au pouvoir. Martin préfère travailler pour cet "apparatchik vieillissant" plutôt que pour les jeunes secrétaires d'État à l'ambition épuisante et constamment désireux de faire impression, ces jeunes-turcs que tout Premier ministre rusé avait appris à garder auprès de lui, sachant d'une part qu'il valait mieux avoir de jeunes arrivistes sous sa tente et qu'ils pissent dehors plutôt que de les laisser dehors et qu'ils pissent sur lui, et d'autre part que leur désir non dissimulé de promotion constituait un outil efficace contre l'insubordination éventuelle des ministres en place. Maintenant, le reste de la délégation est parti pour d'autres
villes chinoises et Martin reste seul à Pékin. Dans sa grande
chambre d'hôtel, il a le temps de réfléchir. Il pense à
Rachel, sa femme, et à ses trois filles. Il est toujours très
épris de Rachel mais elle semble s'éloigner de lui. Elle a pris
sa retraite d'enseignante l'année dernière. Elle se retrouvait
avec une pension convenable et un sentiment d'insatisfaction devant le vide
soudain créé dans sa vie par l'absence de travail. Ils étaient
si nombreux, dans leur génération, à déserter le
service public que cela évoquait la chute de Saigon. À Martin
aussi, on a conseillé de prendre sa retraite. Les deux hauts fonctionnaires
les plus importants de leur délégation avaient dit à Martin
avoir l'intention de prendre une retraite anticipée avant que les trésoriers
étrangers de l'Irlande obligent le prochain gouvernement à effectuer
des coupes dans ce qu'ils devraient toucher. Ils poussaient Martin à
en faire autant pendant qu'il le pouvait encore, avançant que, s'il restait
à son poste, il risquait de perdre une fortune. D'un point de vue factuel,
ces hommes avaient raison, mais ils étaient heureux en ménage.
Lui n'est pas sûr que se retrouver face à face vingt-quatre heures
sur vingt-quatre, sept jours sur sept, représente une chance de sauver
leur mariage. Ce n'est pas l'envie pourtant qui lui manque de serrer le corps d'une femme
contre le sien et ce soir, dans cet hôtel où les massages asiatiques
sont tarifés, il hésite
Une fois remonté dans sa chambre, il se décide à appeler
la réception et quelques minutes plus tard, on frappe à sa porte.
Il avait espéré qu'on lui enverrait une des sveltes jeunes filles
qu'il avait vues à l'accueil de la piscine, mais cette femme était
petite, plus âgée et quelconque, surtout avec ses cheveux tirés
en arrière. Elle arborait un sourire nerveux, désireux de plaire,
et portait un uniforme blanc qui n'avait rien de sexy. Elle lui rappelait
plutôt une infirmière scolaire chargée de vacciner les
enfants. Dermot Bolger nous offre un très beau texte, tout en délicatesse et en subtilité, sans oublier quelques pointes d'humour ou d'ironie, qui entraîne naturellement le lecteur vers une réflexion sur le vieillissement, sur la place de la vie professionnelle dans l'existence d'un individu, sur ce qui peut encore unir un couple après plusieurs décennies de vie commune et sur les relations qui peuvent se créer entre deux personnes aussi éloignées l'une de l'autre, socialement et culturellement, que cette masseuse chinoise et ce haut fonctionnaire irlandais. Un étonnant et passionnant moment de lecture. Serge Cabrol (19/09/13) |
Sommaire Lectures Joëlle Losfeld (Août 2013) 136 pages - 15,90 € Traduction de l'anglais Marie-Hélène Dumas
Bio-bibliographie de Dermot Bolger sur Wikipédia |
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