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Violette CABESOS


Portrait de groupe avec parapluie


Voilà, tout de suite, l’histoire rocambolesque, les peintres géniaux, un suspense teinté d’humour, d’amour, de frustrations, des personnages hauts en couleur, une intrigue tirée par les poils du pinceau, tout cela réuni avec une cette maitrise qui nous laisse savourer notre plaisir page après page.

Nous plongeons, ici, grâce, ou à cause, d’un psychopathe, au cœur d’une époque qui va de l’impressionnisme, au fauvisme et au cubisme avec les grands : Derain, Picasso, Soutine, Modigliani, etc. Nous les voyons vivre avant et après la guerre, au "Bateau-lavoir" de Montmartre ou à "La Ruche" de Montparnasse. Avec les petites histoires et les mesquineries des uns, les débordements ou la générosité des autres, leurs enfants nés ici et là, des informations qui nous rendront perplexes. La fiction qui s’insinuerait  dans la réalité historique ? Cette réalité que nous ne connaissons pas forcément, mais qui proposerait à Violette Cabesos, ce récit aussi coloré et élaboré que certaines  des peintures décrites.

Mais il n’y a pas que les peintres et les peintures… Tous les personnages ont aussi de l’importance dans cette histoire.

Nos premières héroïnes en scène : trois retraitées qui flirtent avec leurs soixante-dix ans dynamiques, et qui vont donc se retrouver au cœur d’une série de crimes, puisque le premier va être découvert par l’une d’entre elles, Marthe Bothorel, alors qu’elle participe à un concours de peinture à Provins. La complicité efficace de ces trois copines parisiennes, si différentes et complémentaires, fantaisistes et opiniâtres chacune à sa manière, va troubler le commissaire chargé de cette affaire extraordinaire. Un commissaire au nom liquoreux, Cointreau, mélomane à ses heures, qui ne connaît rien à la peinture mais va se laisser aider par ce trio de choc, et plus particulièrement par Marthe, récemment passionnée de peinture et d’histoire de l’art.

Dès le début du roman, nous faisons la connaissance du tueur. Il va, en nous racontant les tourments et tournants de son existence, confesser avec une certaine jouissance, très haute en couleur elle aussi, la préparation de ses crimes. Car il tue, cet homme, certes, mais artistiquement ! En attend-il gloire et reconnaissance ? Ou bien aurait-t-il un mobile plus sournois ?

Ce psychopathe à l’épanchement facile, ce solitaire qui se dévoile lentement, nous révélera à l’occasion quelques points de son histoire personnelle que nous devrions retenir.

Car il travaille, cet homme, il s’applique, et nous en profitons pour suivre dans les méandres de sa folie les éléments techniques qu’il nous donne :
« Sans ciller, je saisis un pot de pigment bleu azur. Voici l’arme absolue des fauves : la couleur pure. Certes, Van Gogh, Gauguin, Cézanne leur avaient montré la voie mais, les premiers, les fauves ont osé les visages verts, les arbres rouges, les cernes jaunes, les fonds multicolores, la simplification des formes au profit de l’explosion des tons, dans une rage et une sensualité inégalées. La pâle lumière des impressionnistes s’évaporait : de simple éclairage, elle débordait dans les teintes sauvages, elle se déchaînait dans une déflagration chromatique qui enflammait le tableau, suscitant chez le spectateur des émotions aussi nouvelles que brutales. » Plus loin il nous confie aussi : « Le cubisme est froid, triste, gris et beige, scientifique, intellectuel. La couleur s’éteint au profit de la profondeur des lignes et des champs visuels, des perspectives géométriques, de la recherche sur les quatre dimensions, les formes et l’objet lui-même. Je comprends cette quête, elle était nécessaire. »

À propos de ces éléments concernant une longue période riche en œuvres majeures, de la personnalité de ces peintres et de leur peinture, l’analyse proposée par ce criminel nous semble tenir la route. Il ajoute aussi un portait détaillé de leurs mœurs, de leurs fortunes, comme tombées du ciel parfois, grâce à un mécène ou un marchand avisé ou visionnaire. Et au passage, le fin connaisseur n’oublie pas de nous exprimer ses considérations personnelles et morales : « Momo a été reconnu par le peintre et aristocrate espagnol Miguel Utrillo, bien que ce dernier ne fut pas son géniteur : Suzanne Valadon, comme la plupart des modèles, ne se contentait pas de poser pour les artistes. » Comme il pourra aussi laisser sa rancœur s’amplifier et nous donner de cette façon quelque indice. « C’est toujours le cas chez les peintres : l’amitié, la vénération cèdent le pas face à la rivalité. Faux frères, tous concurrents. À éliminer ! Ils se tuent par l’intermédiaire de leurs toiles. »

Violette Cabesos s’amuse en nous faisant partager cette jubilation tonique qui nous régale. Le suspense est savamment élaboré, les protagonistes sont croqués allègrement et avec des détails toujours pertinents pour l’histoire.

C’est dans ce style enlevé, où l’ironie le dispute à l’humour, que les informations sélectionnées nous permettent de retrouver avec plaisir cette période où les génies se fréquentaient.
Le langage "coloré" des septuagénaires contribue à la saveur du roman.
Alors expressionniste ce "polar" ?
En tout cas riche et captivant… Documenté, drôle et accrocheur… Un pur plaisir !

Anne-Marie Boisson 
(10/10/16)    



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Albin Michel

(Septembre 2016)
368 pages - 20,90 €










Violette Cabesos,
née en 1969, passionnée d’histoire, de littérature et de musique, a déjà publié cinq romans.

Bio-bibliographie
sur le site de l'auteure :
www.violettecabesos.com