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Alain CADÉO

Zoé


Dans ce très beau roman aux allures de conte initiatique, construit avec subtilité dans l’alternance de deux regards, mené d’une écriture à la fois vive et poétique, une étrange relation, essentiellement épistolaire, se noue entre un vieil homme et une jeune fille.

Zoé a dix-huit ans. Elle est boulangère. « Pas la patronne, non, une vendeuse intérimaire de pains, croissants, sucré, salé... » En fait, elle a raté son bac (malgré un 16 en philo) et travaille pour gagner un peu d’argent en attendant la rentrée et la reprise de ses études. Elle a remarqué parmi la clientèle un homme qui vient régulièrement acheter une miche de pain, un homme avec une drôle d’allure, « un homme vieux, tout blanc ou tout blond avec des lunettes fines aux montures dorées et des yeux très bleus. Il est grand, il boite un peu. II a toujours une sorte d'imperméable long et des bottes en daim. Il a l'air de sortir d'un autre monde. On dirait un peu un shérif, je le verrais bien dans un western. [...] Je l’ai baptisé Henry, comme Henry Fonda. »

De ce vieil homme, nous saurons peu de choses, seulement ce qu’il consent à révéler mais c’est peut-être l’essentiel. « Dans le kaléidoscope de sa mémoire il n'y a que des éclats de regards, des sons, des paysages. Aucune chronologie, rien qui puisse servir à la trame bien ficelée d'un roman. Un mélange sans nom d'images décousues. »
Il habite « un fortin en étoile avec un pont-levis au bout de dix kilomètres de piste. Fantaisie à la Vauban posée à mille mètres d'altitude au creux d'un plateau de rocaille. »

Les rencontres entre la jeune fille et le vieil homme tiennent en une petite minute quasi quotidienne, le temps de rendre la monnaie et d’échanger quelques mots. Mais chacun des deux considère cette minute comme un instant de grâce et l’attend avec impatience. Au bout de quelques jours, sous le regard étonné d’Henry, Zoé fait un petit trou dans la croûte de la miche et y glisse un papier roulé. « Vous lirez ça... Chuut..., c’est pour vous... répondez-moi. »
Commence alors une relation épistolaire, discrète, secrète, qui fournit au roman l’alternance des deux voix. Chacun des deux devient narrateur à son tour.
Elle lui raconte ses douleurs comme la mort de sa sœur, évoque son quotidien, l’attitude de son petit ami, de sa grand-mère ou de son patron, son désir de poursuivre ses études et elle recopie pour lui le journal intime qu’elle tient régulièrement dans un cahier mauve.

Il lui répond longuement, avec la distance d’un vieux philosophe bienveillant et compréhensif, mais sans s’immiscer directement dans son quotidien.
Cette distance convient à Zoé : « J'aime les lettres d'Henry. Je ne comprends pas tout mais j'aime la musique de ses mots. J'entends sa voix quand je le lis. Et je peux lire et relire, je trouve toujours autre chose derrière chaque phrase. »

Henry poursuit sa vie d’ermite sauvage et notamment « ses virées dans la montagne avec sa trousse de sculpteur. Il aime passer et repasser, tourner autour des grandes pierres qu'il a choisies, qui l'ont choisi, pour dégrossir leurs formes. Il tourne autour comme un roitelet inspectant son armée. Il revient sur un détail, travaille l'arête d'un nez ou l'ourlet d'une oreille, affine une main, va jusqu'à inclure des morceaux ronds de verre taillé qu'il colle à l'endroit creusé des pupilles. » Un artiste, sculpteur et poète.

La deuxième partie du roman vient modifier sensiblement les apparences de la première et la fin est une habile et poétique pirouette qui apporte à l’ensemble un éclairage encore différent. La confrontation entre l’impétuosité de l’adolescente et la sagesse du poète est empreinte d’émotion en abordant des thèmes forts comme la construction de l’être et de ses valeurs, la mise en lumière de ce qui est vraiment essentiel et les limites qu’impose peu à peu le vieillissement. On peut aisément faire son livre de chevet de cet ouvrage lumineux qui traite de sujets graves avec humour et tendresse. Une écriture finement ciselée pour une lecture apaisante. « Comme la buée d’un sourire sur la vitre d’un rêve. »

Serge Cabrol 
(13/04/15)   



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Mercure de France

(Février 2015)
160 pages - 14,80 €













Alain Cadéo
a publié des nouvelles, plusieurs romans et des textes pour le théâtre.