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Christian CARISEY

Le testament de Descartes


« J’ai froid. Très froid. J'ai froid près de la grande cheminée dans laquelle un des domestiques de l'ambassade vient de rajouter du bois. La chambre est grande et humide. J'ai déplacé ma table de travail pour profiter du feu, mais les fenêtres laissent passer le vent. Dehors, les flocons dansent dans un ciel gris.
Ce matin, une fois encore, je me suis levé à cinq heures pour me rendre à l'audience fixée par la reine Christine. Les rues étaient désertes quand j'ai traversé Stockholm. Une neige sale recouvrait les trottoirs. J'ai pénétré dans le château par une porte de côté et j'ai patienté de longues minutes dans une sorte de boudoir où la reine a fini par me rejoindre. »

Cet homme, qui rencontre la reine de Suède pour bavarder et répondre à ses interrogations, c’est René Descartes. On est en 1650, il a presque 54 ans et il vit ses dernières semaines. Il est installé dans une chambre et il écrit son "testament".

« Plusieurs fois dans mes essais, j'ai raconté ma vie pour illustrer ce que je voulais démontrer. Dans le Discours de la méthode, j'ai ainsi retracé mon itinéraire et rendu compte de mes expériences. Ce récit était une fiction, mais certains ont été abusés. C'est pourquoi il me faut reprendre mon histoire et lui donner l'éclairage qu'il convient. Ce "testament" n'a pas d'autre ambition. J'espère simplement avoir assez de force pour aller jusqu'au bout de mon récit. »

Christian Carisey se glisse dans le corps et l’esprit de Descartes pour écrire à la première personne l’autobiographie du philosophe. La naissance, les études, les relations familiales, les voyages, les rencontres, les amours, les écrits, l’évolution de sa pensée, les doutes, les craintes, nous partageons toutes les émotions et réflexions d’un travailleur acharné qui a consacré sa vie à essayer de comprendre le monde et prouver l’existence de Dieu.

On est au XVIIe siècle, l’église est très puissante et la remise en cause des dogmes n’est pas sans conséquence. En 1633, Descartes est très affecté par le procès de Galilée qui abjure publiquement ses conclusions coperniciennes. Et pourtant, elle tourne…

Ce roman, à la fois historique et philosophique, nous fait suivre au plus près le parcours étonnant de cet homme qui se méfiait des passions et dont la vie a connu bien des épreuves.

Dès l’enfance, il s’est cru responsable de la mort de sa mère avant de comprendre, bien plus tard, qu’elle n’avait pas survécu à la naissance d’un autre enfant, treize mois après la sienne,  et que lui n’y était pour rien. La vie commençait déjà sur du drame et des malentendus. On ne parlait pas de ces choses-là à l’époque…

Les relations avec sa famille seront toujours compliquées. Il ne réalise pas le désir de son père de le voir reprendre une charge de magistrat en province.

René préfère les études, la géométrie,  les mathématiques et… l’escrime. Il atteint un bon niveau dans le maniement de l’épée et plutôt que de végéter dans un tribunal, il choisit le métier des armes et rejoint le régiment de Maurice de Nassau dans la province de Bréda, aux Pays-Bas. Mais il ne s’y passe rien et il s’ennuie. Par contre, au cours d’une promenade dans la ville, il rencontre un physicien, découvre la proximité de la physique et des mathématiques et envisage d’unifier les sciences pour résoudre de plus vastes problèmes.

La question de savoir ce qu’il fera de sa vie l’obsède mais trois rêves l’aident à trouver sa voie. Le troisième surtout « m'apparaissait comme un encouragement. L'encyclopédie, ouverte entre mes mains, attendait d'être complétée. Mes travaux s'inscrivaient dans cette logique et l'idée d'une science moderne, débarrassée des naïvetés aristotéliciennes, pouvait plaire à Dieu. Il était géomètre, créateur de toutes les vérités et Il comprenait sans aucun doute notre curiosité scientifique. Il en était de même pour la métaphysique. On pouvait donc construire un système philosophique ayant la grandeur, la beauté et la solidité de nos cathédrales. »
Il va vite quitter l’armée pour se consacrer totalement à l’étude. « Par chance, ma mère m’avait laissé un petit héritage me permettant de vivre sans vraiment travailler. »

Après la mort de son père, il recevra encore une part d’héritage mais les relations avec son frère seront toujours conflictuelles, empoisonnées par les questions de successions, et René devra toujours batailler pour obtenir une petite partie de ce qui devrait lui revenir.

Du côté des amours, ce ne sera jamais grandiose. Des aventures mais pas de mariage.  En 1634, il a 38 ans et il loge chez un ami à Amsterdam. Il est encore dans cette période difficile qui a suivi la condamnation de Galilée. Son ami doit partir quelques semaines à Francfort et laisse Descartes en compagnie d’une servante Hélène. Elle va lui apporter le réconfort dont il a besoin et une petite fille, Francine, à laquelle il va s’attacher et dont il aura beaucoup de plaisir à s’occuper. Mais les voies du seigneur sont impénétrables et Francine meurt de la scarlatine à cinq ans. « Comment Dieu pouvait-Il tolérer un tel malheur ? Je L'interrogeais tout haut car, dans cette épreuve, j'espérais un signe de Sa part. Mais mon attente était inutile. Aucune voix ne venait me réconforter.
Dans le Discours de la méthode, j'avais prouvé l'existence de Dieu et montré que sans Lui notre monde était impensable. Dieu s'imposait nécessairement. Il était une force absolue à laquelle notre univers était suspendu. Et pourtant, cela suffisait-il ? À quoi servait cette vérité en ces moments de détresse ? […] Ce jour-là, j'aurais pu maudire Dieu si j'en avais eu le courage. »

Descartes vivra donc seul, une existence émaillée de nombreuses rencontres (Pascal, par exemple, avec qui il débat de la notion de vide),  de relations privilégiées avec une princesse, Elisabeth de Bohême, et une reine, Christine de Suède, une vie d’étude, de recherches (combien de dissections pour trouver cette petite glande dont il pensait qu’elle était le point d’intersection de l’âme et du corps ?) et d’écriture. « Ma vie n’aura été qu’une longue suite de polémiques, mais j’espère qu’elle n’aura pas été inutile ».

Le livre de Christian Carisey, non plus, n’est pas inutile, il permet de mieux connaître et comprendre Descartes, resituant son existence et ses réflexions dans le contexte de son époque, transition entre l’obscurantisme de l’Inquisition (Galilée obligé d’abjurer) et les Lumières de Voltaire, Diderot ou Rousseau qui reprendront, au siècle suivant, le flambeau de l’évolution de la pensée humaine.

Un roman vivant, très bien documenté, multipliant les informations et les précisions, un roman passionnant qui capte l’intérêt du lecteur de la première à la dernière ligne. Descartes nous racontant lui-même, avec les mots d’aujourd’hui, sa vie et ses idées, que du bonheur !

Serge Cabrol 
(02/10/14)    



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Le Cherche Midi
(Août 2014)
248 pages - 16,80 €











Christian Carisey,
né en 1955, titulaire d’un DEA de philosophie et diplômé de l’IEP de Paris, a commencé sa carrière comme professeur de philosophie. Il a ensuite occupé diverses fonctions au Syndicat National des Dépositaires de Presse et dans la société Presstalis (ex-NMPP). Il a déjà publié La maladie du roi en 2013 chez le même éditeur.