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Orly CASTEL-BLOOM

Le roman égyptien


La particularité de la communauté juive égyptienne tient dans cette interrogation : a-t-elle refusé de quitter l’Égypte pour suivre Moïse à l’époque de l’Exode ou est-elle revenue dans ce pays, enfin déserté de ses pharaons, pour ne le quitter que dans les années cinquante sous la pression des colonels ?   
Qu’importe la réponse. Il faut de toute façon sortir d’Egypte, c’est écrit. 

Curieusement lors de ce second exode des années cinquante, la plupart choisirent pour terre d’accueil telle ou telle ville de la diaspora et une infime minorité cette jeune terre d’Israël qui les accueillait à bras ouverts. La famille d’Orly Castel-Bloom comptait parmi ce groupe de pionniers égyptiens qui s’installèrent en kibboutz. « Voilà, qu’ils étaient tous au kibboutz où ils passeraient au bas mot cinquante à soixante ans. »

Mais ce noyau égyptien n’est pas très discipliné, et un soir de référendum comme il y en avait souvent dans ces années-là, ils votèrent dans le sens opposé à la ligne politique du Kibboutz, ligne politique qui d’ailleurs venait d’une bien plus haute autorité. Le sujet du scrutin était de savoir si les kibboutzim étaient "pour" ou "contre" la tenue du procès de Prague (1951). Ils votèrent pour. Ainsi le voilà, ce mince noyau égyptien, traité d’antisioniste, privé de travail et habilement expulsé du démocratique kibboutz. Leur espoir de cinquante à soixante ans de séjour dans ces lieux s’était réduit à une poignée d’années, trois pour tout dire. C’est donc hors de cette vie communautaire, dans les grandes villes qui commençaient à se développer en Israël que se poursuivrait leur destin.

Dans Le roman égyptien, saga de la famille Castil, Orly Castel-Bloom campe le personnage que l’on nomme "la grande" par simple opposition à sa sœur cadette que l’on nomme "la petite", elle n’a pas d’autre nom. Elle nous raconte cette saga familiale sans aucune chronologie par des chapitres construits avec la rigueur qu’impose l’écriture d’une nouvelle, ainsi chacun d’eux (ou chacune d’elles) peut être lu indépendamment des autres. Souvent le sujet de ces morceaux de mémoire est douloureux, mais Orly Castel-Bloom nous les donne à lire sans affect et même avec un humour si particulier qu’il ne peut être que le sien, une sorte d’ironie mêlée de sarcasme, qui dresse un voile défensif devant les larmes qui pourraient couler.

Nous traversons donc dans Le roman égyptien, quelques siècles d’histoire. Nous passons de l’expulsion du kibboutz du noyau égyptien politiquement incorrect, étant donné leur penchant pour Staline, ce grand "Soleil des peuples", à une autre expulsion, celle de la famille Castil d’Espagne en 1492 pendant l’inquisition, avec l’étonnante légende de ce Castil qui pour éviter à sa famille la honte de la conversion, installe sur ses terres un élevage de porcs qui le rend garant de sa non judaïcité et lui permet, dès qu’il se retrouve dans l’intimité de sa famille, de célébrer en toute impunité le shabbat et la kyrielle de fêtes religieuses de sa confession.

 D’autres scènes cocasses sont également rapportées, avec l’humour dont je parlais plus haut ; certaines se déroulent dans ce pays où rien n’est évident ou tout ne tient qu’à des fils en suspens et tendus à craquer, tel l’épisode du serment de fidélité à la patrie du fils de "la grande", après son apprentissage à l’armée ; d’autres ont pour cadre l’Égypte, tel l’exploit de l’oncle Vita, pendant les émeutes contre le régime du Roi Farouk : il restera suspendu au pont dont la police avait levé les deux panneaux pendant sa fuite par cette voie. Il n’eut comme unique recours pour éviter les balles que de sauter dans le Nil et de rejoindre in extremis une embarcation de compatriotes révoltés. Et puis la terrible histoire de l’ancien guide touristique devenu, pendant le printemps arabe, directeur du zoo du Caire, histoire trop longue à exposer ici mais qui à elle seule mérite la lecture de ce roman égyptien dont les quinze chapitres (nouvelles) forment une pyramide de pépites, comme dirait un de mes amis, bien équilibrées.

Orly Castel-Bloom compte parmi les écrivains israéliens de sa génération qui peu à peu dynamisent l’hébreu littéraire. Elle injecte à cette langue qui depuis des millénaires s’est bornée à raconter l’histoire du peuple juif, un sang nouveau que l’on ne découvre qu’à travers la traduction de Rosie Pinhas-Delpuech, tout en regrettant, à cause de notre ignorance de l’hébreu, de ne pas pouvoir le découvrir dans le texte original.

L’œuvre d’Orly Castel-Bloom est déjà riche de plusieurs ouvrages pour la plupart primés. En France, on peut lire leur traduction (celle de la fidèle Rosie Pinhas-Delpuech) chez Actes-Sud : Dolly city (1993), Où je suis (1995), La Mina Lisa (1998), Les Radicaux libres (2003), Parcelles humaines (2004), Textile (2008).

David Nahmias 
(24/10/16)    



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Actes Sud

(Septembre 2016)
208 pages - 19,80 €



Traduit de l'hébreu par
Rosie Pinhas-Delpuech










Orly Castel-Bloom,
née à Tel-Aviv en 1960, dans une famille d'origine égyptienne, a publié une dizaine de livres traduits dans une quinzaine de langues et obtenu de nombreux prix littéraires dont le prix Sapir 2016 (l'équivalent du Goncourt) pour Le roman égyptien.



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