|
|
Georges-Olivier CHÂTEAUREYNAUD
C'était écrit
Cet Ulysse-là ne s'en revient pas de la guerre. Il s'appelle Léo,
est employé de librairie, et son seul souci après sa journée
de travail est de rentrer rapidement chez lui pour retrouver son épouse.
Il choisit donc de monter dans le train semi-direct de 18h08 plutôt que
de prendre l'omnibus de 18h15. Et l'aventure commence, qui durera dix ans. Les
péripéties s'enchaînent, sans que Léo, ni le lecteur,
puisse dire si elles sont heureuses ou malheureuses, bénéfiques
ou désastreuses. Dans le train de 18h08, Léo est séduit
par une jeune femme, puis pris en otage lors d'un braquage dans une bijouterie,
puis
, puis encore
Il s'en sort toujours, Léo. Balloté
par les flots d'un périple qui le conduit de plus en plus loin de sa
banlieue et de son quotidien, il est invariablement le bienvenu où qu'il
tombe, dans une île perdue ou une villégiature paradisiaque. De
l'Italie à l'Espagne, en passant par Malte, les côtes turques,
puis l'Amérique du nord et du sud, l'Asie, il parcourt le monde passivement,
se laissant porter par une bonne fortune incompréhensible.
On retrouve dans C'était écrit les motifs chers à
Georges-Olivier Châteaureynaud, mais ici comme amplifiés : le peu
de prise que nous avons sur le cours de nos vies, nos existences inexplicables
sous le regard d'aucun dieu. Nous sommes, comme le suggérait le titre
du livre que l'écrivain Mathieu Chain [1] ne se souvenait pas d'avoir
écrit, des « voyageurs sans repos ». Léo
ne calque pas exactement ses pas sur ceux d'Ulysse : il fait naufrage, croise
des sirènes au bord d'une piscine , séjourne chez
des lotophages contemporains, et raconte son histoire à un Samir qui
a tout d'un Alkinoos, mais cette trame antique, avérée et revendiquée,
n'est qu'une trame. Sur ce canevas se dessinent des motifs fantastiques et ironiquement
autobiographiques. Si la chute de la nouvelle est une mise en abyme qui évoque
la Continuidad de los parques de Cortázar, les personnages de
Léo et de son épouse Tarpéia semblent ne faire qu'un :
tandis que le voyageur-rêveur se laisse emporter par son destin, l'épouse-écrivain
est à sa table : « elle inventait sans cesse des histoires
à dormir debout, qu'elle écrivait et publiait ». Mise
en abyme dans l'abyme : le dernier livre de Tarpéia paraît aux
Éditions Rhubarbe. Léo dépêche un détective
pour retrouver son épouse, mais c'est lui-même qu'il trouve. Il
en est terrassé, effrayé.
En cinquante pages, Châteaureynaud crée un monde fictionnel vertigineux.
Le bracelet que Léo comptait offrir à Tarpéia, et qu'il
n'a jamais perdu au cours de son voyage le papier cadeau et le bolduc
argenté sont, à l'arrivée, presque intacts , est
le symbole, aussi, d'un texte parfaitement bouclé. Qui se clôt
sur une fenêtre éclairée, à peu près inaccessible,
mais vers laquelle on court. Le voyageur reste sans repos.
[1] Cf. Georges-Olivier Châteaureynaud, Mathieu Chain, éd.
Grasset (1978) et éd. Motifs (2009).
Christine Bini
(12/04/14)
Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/
|
|
|
Retour
Sommaire
Lectures
Éditions Rhubarbe
(Avril 2014)
52 pages - 5 €
G.-O. Châteaureynaud,
né en 1947, nouvelliste et romancier, prix Renaudot 1982 et Goncourt
de la Nouvelle 2005, est l'auteur d'une trentaine de livres.
Visiter le site de
G.-O. Châteaureynaud
Découvrir sur notre site
le précédent livre
du même auteur :
Jeune vieillard assis sur une pierre en bois
|
|