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Christine DEROIN

Clandestines


On pourrait croire que Colette, vieille et seule à en crever, va enfin s'humaniser quand elle ouvre sa porte et un peu son cœur à Idiatou, une jeune Malienne sans papiers qui squatte l'appartement vide à côté de chez elle. Mais Colette a toute une vie de résignation et d'aigreur derrière elle. Colette a peur. Elle a toujours eu peur de tout. Elle n'a de velléités de révolte qu’anonymement ou sur plus faible qu'elle. Il faut dire que la vie ne l’a pas épargnée : fille-mère avec tout l'opprobre que cette situation à l'époque entraînait, rejetée de ce fait par ses parents déjà pas aimants, "demoiselle" des chèques postaux, brimée, exploitée, épuisée ; quand enfin à la quarantaine, elle a l'impression de sortir un peu la tête de l'eau, sa fille majeure, prend le large pour les USA et fuit la vie étouffante qu'elle mène avec sa mère. Colette reste seule dans le petit appartement du 18e arrondissement où il lui semble, maintenant qu'elle est à la retraite, être la seule "blanche" à vivre là.

« Ça fait des années que je ne parle plus aux autres. Surtout aux inconnus. Surtout dans mon quartier. Trop d'étrangers. En fait trop de Noirs. Et je ne parle plus aux Noirs. C'est comme les poissons, je ne les connais pas. Avant je n'étais pas aussi fermée quand même mais à force de voir à la télévision des Noirs ou des Arabes et d'entendre ce qu'on raconte sur eux, je suis devenue peureuse. Moi, je n'ai rien à leur reprocher à tous ces gens sinon qu’ils sont là. »

La narration nous fait partager les obsessions routinières et peureuses de cette petite vieille qui remâche sans cesse sa vie de rien, des souvenirs sordides, une suite d'échecs et de renoncements, dans une solitude abyssale. Ses pensées sont entrecoupées par la lecture que la vieille fait en douce de lettres où s'inscrivent les angoisses et les espoirs de ceux qui ont quitté leur pays pour le rêve d'une vie meilleure, ici, en France. Colette revit aussi les discussions qu'elle a avec Idiatou devenue son aide ménagère. La jeune femme lui raconte sa vie, ses rencontres et sa lutte au groupe des sans papiers où elle se sent si bien. Idiatou est chaleureuse, pleine d'espoir, tout simplement vivante et libre. On est horrifiée alors par la capacité de cette petite vieille qui toute sa vie a courbé la tête devant les autorités, qui toute sa vie s'est sentie opprimée mais a refusé toute forme de solidarité à devenir à son tour l'oppresseur. La banalité du mal.

Christine Deroin, par cette petite fable cruelle, démontre avec habileté que la soumission à l'ordre établi, aux préjugés, si elle mène sûrement à la « solitude des eaux glacées du calcul égoïste », mène aussi au pire, au racisme, à l'exploitation, la négation de l'autre.

Répétons encore une fois, comme le fait l'auteur en exergue à ce livre, les propos de Nelson Mandela : « Je ne suis pas libre si je prive quelqu'un d'autre de sa liberté. L’opprimé et l'oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité. »

Sylvie Lansade 
(23/05/16)    



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Lectures








Chèvre-feuille étoilée

(Février 2016)
110 pages - 15 €





Christine Deroin,
romancière, nouvelliste, metteur en scène, animatrice d’ateliers d’écriture, a déjà publié près d’une vingtaine de livres pour la jeunesse et les adultes ainsi que plusieurs textes
pour le théâtre.


Bio-bibliographie
sur le site de la
Maison des Écrivains
et de la Littérature