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Christine DÉTREZ

La nuit des éphémères


Voilà un très beau roman sur le secret, pas seulement un secret de famille mais le secret de tout un village. Un événement vécu par tous, il y a longtemps, mais dont personne ne doit jamais parler. Un secret ancien, profondément enfoui dans la mémoire collective, et dont les dépositaires disparaissent peu à peu de génération en génération. Une jeune femme, Céline, dont la grand-mère était l’institutrice du village, va remonter sans le savoir vers cette mystérieuse nuit des éphémères.

Céline vient de subir une grave déception avec le départ de son amoureux sur un simple coup de téléphone terminé par cette formule : Prends soin de toi. Elle en éprouve beaucoup de peine et comme ce sont les vacances, elle décide de se réfugier très loin, dans la maison de sa grand-mère décédée depuis longtemps. Elle y retrouve les émotions de son enfance, la cloche qui sonne tous les quarts d’heure, la reproduction d’un croquis de Delacroix accroché au-dessus de la table de nuit, le téléphone fixé au mur avec son fil tire-bouchonné toujours aussi précieux parce que le portable ne passe pas.

Josée lui a préparé la maison. C’est une parente éloignée, une femme massive et taciturne, qui marmonne en faisant le ménage et vit toujours avec sa mère. Au fil des jours, Céline et Josée vont être amenées à bavarder plus souvent, surtout parce que Céline a besoin d’informations…

En effet, très vite, Céline s’intéresse à la maison voisine. Une maison vide, abandonnée où vivait Bastien, une sorte d’idiot du village que les enfants poursuivaient et qui est mort sur le bord de la route sans que personne ne s’arrête pour se préoccuper de son sort. Aujourd’hui, certains disent que la maison est hantée, qu’on entend encore le piano…

Céline a une imagination très active et une façon bien à elle d’animer ce qui l’entoure. Ainsi, dans l’appartement qu’elle a quitté pour venir se réfugier dans ce village, les peluches de poussière avaient peu à peu quitté le dessous des meubles. Jour après jour elle les avait vues s’enhardir, glisser une patte ou un museau timide, petites souris de grisaille, se mettre à gambader au moindre courant d’air, et venir lui chatouiller les pieds. Elles étaient ensuite devenues grosses comme des rats, puis comme des chats, et quand elle a fermé la porte de l’appartement l’une d’elles, grosse comme un molosse, lui avait éraflé le mollet d’un coup de griffe. Il était vraiment temps de partir…

Elle a su aussi matérialiser son chagrin après cette douloureuse rupture et sa peine est devenue une petite boule de taille variable qui lui tient compagnie et change de forme selon les moments. Entre chien et loup, elle tournait en rond, devenait irritable, grondait et montrait les crocs. Elle qui, dans la journée, pouvait tenir dans le creux de la main, que Céline promenait cachée dans la poche, devenait grand fauve, pupilles étrécies sur ses iris jaunes, et ses feulements lui écorchaient l’âme.

Alors, à deux pas de cette maison abandonnée, Céline aussi entend le piano et, lors d’un évanouissement, elle voit une petite fille qui parle de son père, de la guerre et des bombes…

Grâce à Josée et à sa mère, elle va remonter dans l’histoire de cette famille qui occupait la maison voisine. Bastien qui jouait du piano étant petit ; sa mère qui portait des robes d’une autre époque ou d’un autre milieu, toujours en noir, avec des dentelles et des mantilles ; la grand-mère, Emilienne, propriétaire de la moitié des terres du village, sévère et revêche, furieuse que son fils, Adrien, ait ramené cette étrangère de Paris…

Et la petite fille, a-t-elle existé aussi ou n’est-elle que le fruit de l’imagination de Céline ? Ce sera plus difficile à éclaircir parce qu’on approche du cœur du cyclone, du secret du village. Mais la jeune femme ne se  laissera pas détourner de sa quête et elle saura délier les langues.

Dans ce village où tournent les hirondelles, dans cette maison délabrée où ne s’aventurent que les rats et les chats, elle promène sa peine et cette enquête est un bon moyen de faire passer le temps, distraire son chagrin, s’occuper l’esprit.

La mère de Bastien, cette « étrangère », « la polack » comme l’appelaient les gens, devient au fil des pages un très beau personnage au destin tragique enfermé dans le huis clos de cette maison dirigée par la main de fer d’Emilienne. Une souffrance à devenir folle qui a marqué le village et n’amusait que les enfants…

Christine Détrez réserve une large place à l’imaginaire, à l’onirisme, à la poésie dans ce roman à la construction subtile où les intuitions et les rêves se mêlent à la quête et donnent vie aux émotions, où les mots décrivent le réel avec une grande justesse et une étonnante beauté. Voilà un livre qui surprend, qui intrigue, qui séduit, qui enchante et qui promène le lecteur sans jamais l’égarer. De la première à la dernière page, on accompagne Céline sur ce chemin de campagne où caracole sa peine, on la suit au cœur du village hanté par cette sombre histoire et, grâce à elle, on finira par connaître le véritable secret de la nuit des éphémères. Une écriture forte et originale, un auteur à suivre…

Serge Cabrol 
(29/10/15)    



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Chèvre-feuille étoilée

(Octobre 2015)
148 pages - 15 €











Christine Détrez,
enseignante en sociologie à l'ENS de Lyon, est l'auteur de plusieurs essais. La nuit des éphémères est son troisième roman chez le même éditeur.



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