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Anita FERNANDEZ


Double je



Le titre du premier chapitre, Deux dames sur l’échiquier, laisserait présager un ton léger, or, dès le début du roman, une sorte de nébuleuse inquiétante s’insinue. « Depuis ce six février, six heures du soir, ma vie est totalement remise en question. »

Car Annie Bailler, journaliste de quarante ans, qui vit à Paris, a un compagnon, un fils momentanément "en vadrouille" et une vie sans doute rangée, voit soudain débarquer chez elle une sœur jumelle – « Elle tombe dans ma vie, sans bagages, sans passé, sans attaches, un zombi qui, extérieurement, me ressemble étrangement » – dont elle ignorait l’existence jusque-là. Anna impose tout de suite sa présence et va s’immiscer dans la vie de sa sœur au point de la réorganiser à sa façon. Annie, à son corps défendant, risque d’être aspirée par cette énergie débordante et, pour le moins, autoritaire.

Elle va bien essayer de résister et de tenter de freiner les initiatives intempestives de sa sœur, mais se trouve rapidement mise devant le fait accompli. « Mes désirs… Elle disait "je suis venue te seconder". Et voilà qu’elle me brutalise, qu’elle m’oblige à ruminer mes manques, mes rancœurs, mes faillites, tous ces cafouillages, ces échecs. J’avale ce qu’elle appelle "mes désirs refoulés" dans des sursauts de glotte discrets, comme des morves dégluties en silence. »
Probablement parce qu’elle ne peut rien contrôler et malgré cette prise de conscience, Annie se soumet à la volonté de sa jumelle. Jusqu’à devenir complice ? Sans doute, puisqu’elle participe. Ira-t-elle alors jusqu’à y prendre goût ? Est-ce vraiment un jeu ? Mais Anna la rassure : « Ne t’inquiète pas. Nous avons assez vécu à moitié, maintenant nous sommes deux et les seules à le savoir. » Et elle est convaincante !

Anna devient de plus en plus hardie, et cherche à vérifier si Annie et elle, peuvent être confondues, interchangeables. Pourquoi ? Aucun objectif précis ne filtre. Et sans aucun indice, nous restons avec nos questions et notre nébuleuse.

Anna se confronte donc aux amis d’Annie, aux commerçants du quartier, à la voisine, et même jusqu’à son compagnon puis son fils. « Les tests se sont tous avérés positifs. Pas plus la sorcière que mes amis proches, que mon voisinage, que cet homme qui me connaît toute nue, n’ont remarqué le subterfuge. » Elles ont les mêmes traits et surtout les mêmes « prunelles translucides, laiteuses, bleuâtre ».
« Nous sommes deux sœurs jumelles, Nées sous le signe des gémeaux… mi fa sol la, mi ré... »

Annie est cependant bien secouée au cours de cette phase virevoltante : « Ce jeu de cache-cache est une vraie gymnastique, Annie a l’impression de faire de l’haltérophilie mentale, mais elle ne doit pas lâcher. »

Alors, nous allons, nous aussi, nous laisser aspirer par les évènements qui se déroulent à grande vitesse, en s’enchaînant inéluctablement. Et pour reprendre notre souffle, ou essayer de deviner quelle motivation, plus sournoise, sous-tendrait celle mise en avant par Anna – « à nous deux nous sommes capables de beaucoup de choses » –, il faudra patienter. On ne sait rien d’Anna, rien de sa vie,  mis à part ce talent quelle montre à se couler dans celle de sa sœur.

S’il s’agissait d’un autre genre de roman policier on attendrait les rebondissements, mais pas ici. On suit le mouvement avec ses quelques étapes rocambolesques, comme la découverte d’un trafic de faux billets, par exemple, ou bien l’influence d’une secte sur le fils d’Annie, tout en nous demandant comment tout cela va finir !

Le voile de malaise ressenti au début, persiste, accompagné de cette impression de ne rien maîtriser, à l’instar du personnage d’Annie. Quant au doute, il se déploie et entretient notre perplexité.

Habile manœuvre. L’auteure jouerait-elle avec nos nerfs ?

Les quatre chapitres annonceraient-ils la couleur depuis leur titre ? Ces Deux dames sur l’échiquier du début nous emmèneraient-elles sur une Fausse donne pour que la Triviale poursuite terminée, – il faut retrouver Annie (et Anna) – nous puissions constater que Les jeux sont faits ?

La fin nous surprend. Quoique…

Alors si Anita Fernandez, auteure bien espiègle et peut-être même un brin perverse (!?) nous faisait une blague subtile, nous amenant indirectement à réfléchir sur la nature du "jeu" ou du "je", qu’il soit simple ou double ?

Et si, en nous laissant à disposition quelque élément sur la manipulation et ses effets, l’auteure nous proposait, à son tour, une sorte de jeu ?

L’écriture est libre, limpide et sert bien le propos. Son rythme tout à fait en accord avec l’air qui se joue ! Les dialogues sont justes, les réflexions pertinentes. Quant aux personnages secondaires ils recèlent de petites pépites d’humour et de tendresse.

Et finalement, si Anita Fernandez voulait nous faire frissonner de plaisir inquiet, elle a parfaitement réussi ! Sans oublier, non plus, de nous faire sourire à l’occasion.

Saveur acide de ces bonbons piquants qui titille nos papilles….
 « Nous sommes des sœurs jumelles, Nées sous le signe des Gémeaux… mi fa sol la, mi ré, ré mi fa sol, sol sol ré do… »

Anne-Marie Boisson 
(16/11/15)    



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Noir & polar









Chèvre-feuille étoilée

(Novembre 2015)
280 pages - 10 €










Anita Fernandez
a déjà publié plusieurs livres ainsi que des nouvelles en revues.