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Éric FOTTORINO
Eric Fottorino a eu deux pères. Michel Fottorino est celui qui l'a élevé
et lui a donné son nom, un kinésithérapeute d'origine tunisienne
qui a épousé sa mère à la fin des années
soixante. Mais auparavant, il y a eu Maurice Maman (on prononce, et on écrit
parfois, Mamane), un médecin juif marocain venu terminer ses études
en France, que sa belle famille a rejeté et qui n'a donc pas pu épouser
la mère d'Éric. Ce père biologique a longtemps été
un mystère pour l'auteur. Il ne l'a rencontré qu'à l'âge
de dix-sept ans, pendant trois jours, mais l'adolescent a refusé de parler
à cet homme de quarante ans avec qui il pensait ne rien avoir en commun.
La quarantaine, c'était le début de mon silence, mon refus de
tout contact avec toi. Plus un geste, plus un mot. Je t'avais vu pour la première
fois en pensant que ce serait la dernière. Nous avions partagé
un peu de temps, mais ce n'était pas le même temps. Le tien était
déjà plus rare, quand je gaspillais le mien dans la confusion
de l'adolescence. Je voulais simplement te voir, toi tu aurais aimé me
garder. Nous vivions à contretemps. Ce pèlerinage à Fès, dans la ville des origines, c'est avec son père qu'il aurait dû l'effectuer mais la maladie en a décidé autrement, rendant tout voyage impossible, et l'auteur est parti seul. Je vais marcher plus vite, moins profond. Tu vas me guider à distance. Je t'enverrai de petits films, des photos. A mon tour de te chuchoter des histoires pour t'en rappeler d'autres. L'auteur a emporté avec lui deux arbres généalogiques
(avec des racines qui s'enfoncent plusieurs siècles en arrière)
et des courriers reçus après la parution du livre de 2010 qui
éclairent par bribes quelques pièces du puzzle familial. Grâce à eux, l'auteur va découvrir les lieux, ce qui reste du passé, ce qui l'a remplacé, dans les différents quartiers de la ville (ancien quartier juif, ville européenne, médina ), mais aussi les personnes, les traditions, les fêtes, les joies et les souffrances. Le premier guide, c'est le rabbin Albert Sebagh. Il porte une serviette
de cuir qui a vécu et, à l'intérieur, plus épais
qu'un portefeuille, un registre de cuir où semble accumulée toute
sa richesse : quantité de photos et de cartes postales du mellah chacune
protégée par un film transparent. Au cimetière, il retrouve la tombe de Ninette, morte à dix-sept dans un accident de voiture. C'est à ce moment-là, à quinze ans, que du haut d'un immeuble tu jetas ton tallith, le châle de prière, pour dire non à la religion. Rébellion d'un adolescent révolté devant la mort de sa grande sur. Un geste important et mémorable que l'auteur évoque plusieurs fois au fil du récit. Tu es né juif et tu le restes. Mais tu estimes ne pas appartenir à un prétendu peuple élu. En jetant ton tallith, tu dis : je suis libre. Le frère de Maurice, lui, est devenu rabbin. L'auteur rencontre aussi le docteur Guigui, président de la communauté
juive de Fès, qui a dépassé l'âge de la retraite
mais pratique encore la médecine dans un dispensaire. Ils se donnent
rendez-vous au centre communautaire pour un dîner avec d'autres personnes
ayant connu Maurice. L'occasion d'un nouvel échange de souvenirs et d'anecdotes,
toujours ce mélange de drames et d'épisodes joyeux. L'occasion
aussi d'évoquer le Tritl, un événement particulièrement
tragique. Du 19 au 22 avril 1912, le mellah vécut trois jours et trois
nuits d'horreurs. Massés devant le palais du sultan Moulay Hafid dont
ils contestaient les liens avec la France, des centaines d'émeutiers
musulmans, parmi lesquels des soldats réclamant leur solde, fracassèrent
les portes du quartier. [
] Les assaillants massacrèrent des hommes
et des enfants, violèrent des femmes, pillèrent les maisons avant
de les brûler, emportant tout ce qui faisait ventre, fracassant les tonneaux
d'huile et les meubles, volant bijoux et vêtements. Ensuite, l'auteur rend visite à Dédé, André Tobaly,
l'ami d'enfance de Maurice depuis l'école primaire, le copain des quatre
cents coups, et c'est une autre balade dans les rues de leur jeunesse. Un autre
regard, un autre ton. "Il nous fallait des Françaises. Nous avions
une fascination pour les Chrétiens. Ils étaient les détenteurs
du modernisme. [
] On apprenait dans le Mallet-Isaac que nos ancêtres
étaient gaulois. Alors on s'acharnait à le devenir." Difficile de donner une idée juste de la richesse de ce livre, de cette déambulation dans les rues de Fès toujours en va-et-vient entre le passé et le présent, un passé qui éclaire le présent, qui donne à l'auteur une vision plus large de ses racines paternelles et au lecteur le sentiment d'avoir reçu en cadeau les secrets de cette quête et d'avoir partagé, le temps d'une lecture, les joies et les drames d'une famille et d'une communauté durant plusieurs décennies, dans une émouvante intimité qu'aucun voyage touristique dans cette cité impériale, aussi bien préparé soit-il, ne pourrait égaler. On ferme le livre en remerciant l'auteur, tout en sachant qu'un jour ou l'autre il serait bien étonnant qu'on ne le rouvre pas pour retrouver encore un peu la force des émotions partagées au fil des pages. Serge Cabrol (19/09/13) |
Sommaire Lectures Calmann-Lévy (Septembre 2013) 192 pages - 16 €
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