C'est le destin de Noël Botillon que ce roman nous fait partager, au plus près, grâce à une écriture à la première personne qui nous place d'emblée au cœur de l'enfer.
Dans cette tranchée qui fait frontière entre l'humain et l'inhumain, ce portail vers l'enfer, cet enfer sur terre, cette boue immonde qu'on nous oblige à fréquenter, à travers ces hommes qu'on nous oblige à tuer avant de piétiner leurs corps pour en tuer d'autres et d'autres encore, il se joue un match où s'affrontent des enfants devenus anormaux.
Au moment précis où je pose le pied sur le corps étendu et livide de ce soldat pour retirer ma lame qui l'a tué, je sais que je suis devenu un monstre.

En alternance avec les chapitres consacrés au soldat Noël Botillon et à son terrible destin sont intercalés des chapitres qui se déroulent aujourd'hui et dont le narrateur (un collégien s'exprimant aussi à la première personne) participe à une réunion de famille autour de son arrière-grand-mère, Grand-Mamie Avril, qui approche les cent ans. Églantine, la fiancée de Noël, était enceinte quand son promis est parti à la guerre et c'est par une lettre qu'il a appris qu'il allait être père. La petite Avril est née au printemps 1915…

Le jeune narrateur et sa sœur jumelle préfèrent jouer à la guerre contre les enfants des voisins plutôt qu'écouter Grand-Mamie égrener ses souvenirs et commenter de vieilles photos. Mais peu à peu, les jeux des enfants et le récit de la vieille dame vont se rejoindre et se compléter…

Voilà un roman très intéressant et très émouvant, avec des personnages aux caractères bien trempés. Le soldat Botillon se bat pour survivre, sans haine pour l'adversaire, avec le seul objectif de sauver sa peau si possible et retrouver son Églantine. Avril, devenue arrière-grand-mère, a derrière elle une existence étonnante d'artiste de cirque, de tournées à travers le monde et de très belles rencontres. Les enfants, quant à eux, ne manquent pas d'imagination et n'ont pas leur langue dans leur poche. Les jeunes lecteurs s'identifieront facilement aux uns ou aux autres et découvriront, comme de l'intérieur, le quotidien de ces millions de jeunes hommes perdus dans cet enfer de boue, de peur et de souffrance dont on va prochainement commémorer le centenaire. Un ouvrage qui doit rejoindre au plus vite les rayonnages de toutes les bibliothèques et de tous les CDI.

Serge Cabrol 
(03/12/13)