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Fariba HACHTROUDI
Il fut un jeune soldat valeureux et décoré de l'armée
du Seigneur lors de la guerre contre un pays "voisin mécréant". Le colonel dans sa vie privée présente un autre visage. Il est
fou amoureux d'une scientifique athée spécialisée en astrophysique
dont les recherches sont la seule passion et qui, entre ses phases estudiantines
poussées jusqu'au doctorat passé par correspondance à l'étranger,
a consenti à lui donner deux enfants. Dans le périmètre professionnel du colonel se trouve la célèbre
geôle de Devine, bastion de la torture réservé aux prisonniers
politiques jugés les plus dangereux ou à leurs proches quand ils
sont trop coriaces et tardent à avouer, comme appâts. C'est ainsi
qu'il avait été chargé du dossier de 455, une femme torturée
pendant des mois pour faire tomber son mari qui, à la stupéfaction
de tous, résistait à tout ce qu'on lui infligeait avec un NON
tonitruant et déterminé. Un échec flagrant et gênant
pour le système. A lui donc de trouver la faille et de vérifier
si, éventuellement, elle ne bénéficiait pas de la complicité
de certains de ses gardiens. C'est à cette période que le "Commandeur " en personne
lui demande de devenir le chef de sa garde personnelle. Une promotion inespérée
et dangereuse qu'il ne convoite en aucune façon. Prudemment il temporise
pour gagner du temps et trouver le moyen d'échapper à cette nouvelle
responsabilité qui l'impliquerait plus fortement encore dans les arrestations
et l'élimination discrète des opposants. Un refus frontal équivaudrait
à un simple arrêt de mort. Cinq ans plus tard, réfugié dans un pays du Nord, il attend toujours
d'être régularisé et d'obtenir l'asile politique afin que
sa femme puisse le rejoindre. Le pays d'accueil n'est pas le paradis escompté
et y montrer patte blanche n'y est pas si simple. C'est dans un misérable
foyer et à son tour sous surveillance, qu'il doit prendre son mal en
patience. Un matin, alors qu'il se rend, une fois de plus, à une convocation du
bureau de l'émigration pour ce qu'il espère un ultime entretien,
il voit arriver, à la place de la traductrice habituelle, une femme en
qui il reconnaît immédiatement le numéro 455. Tout d'abord
troublé, il se rassérène en se disant que la victime ne
peut le reconnaître puisqu'elle n'a jamais vu son visage. La séance
de questions se déroule tout à fait normalement mais un détail,
ce pied toujours posé de biais de ce compatriote en face d'elle, trouble
l'interprète, et la ramène de façon fugitive mais pressante
au souvenir de sa dernière séance de torture à Devine.
Le colonel ne la lâchera plus. Il la cherche dans le quartier, la suit, l'aborde pour lui raconter l'organisation de son sauvetage, sa fuite à lui, sa vie d'avant, sa famille. Ils partagent le pays perdu, la solitude et la passion que chacun éprouve pour son amour laissé là-bas. Finalement bourreau et victime qui ont connu deux versants d'une même réalité, de celle que les mots ne peuvent pas vraiment traduire et qui les isole des autres, finiront par se comprendre. Entre eux va se nouer une étrange relation, faite de dépendance mutuelle et de confrontation, qui leur permettra, à lui d'achever son processus de rédemption pour son aimée, à elle de combler les vides de son passé pour mieux s'en libérer ensuite. L'auteur alterne les confidences entre la victime et celui qui se trouve être
à la fois chef de ses bourreaux et acteur de sa libération, en
un face à face tragique. Leurs voix s'affrontent mais, entre ces deux
êtres éblouis par l'élu de leur cur et unis par la
douleur du sacrifice qu'ils ont fait sur l'autel de l'amour, la complicité
finit par s'installer. Ce qui peut surprendre dans ce roman c'est le positionnement même des
deux protagonistes principaux : le colonel et l'appât y sont mis sur le
même plan. Hors tout jugement moral, ils se retrouvent parallèlement
comme absous par la pureté de leur sentiment amoureux, qui leur donne,
à elle le courage d'affronter la torture sans flancher et à lui
de troquer son costume d'auxiliaire de la dictature pour celle de résistant
afin d'obtenir le pardon de sa femme. Mais en ne mettant pas de nom sur la République Théologique ni sur la terre d'accueil des exilés, elle évite d'enfermer son récit dans un périmètre géographique ou religieux déterminé pour lui donner une dimension plus générale. "Je n'évoque dans ce livre ni lieux, ni époques. Tout au plus, on sait que l'histoire est actuelle. Par là, je veux dire qu'elle aurait pu se passer en Amérique latine dans les années 70, en Iran dans les années 80 ou actuellement en Syrie ! Je l'ai fait exprès. Ça laisse un flou pour dire que les maux de l'humanité comme l'amour sont universels" confirme-t-elle sur son blog. L'écriture de ce roman dense et habité de fureur et de violence, est acérée et vive. La tension dramatique y est intense et les retournements de situation inattendus. Le lecteur se retrouve ici déstabilisé face à un roman qui parle d'amour sans être un roman d'amour, qui fait un procès sans appel du totalitarisme sans tomber dans le pamphlet politique, qui fouille la nature humaine dans sa part de lumière et sa part d'ombre. Un récit complexe qui n'hésite pas à déranger, à jouer de l'ambivalence, à opposer cur et raison, à soulever plus de questions qu'il ne partage de certitudes. Si les cartes de l'amour, de la connaissance, de la tolérance, de la vérité sont bien dans le jeu, parfois, elles changent de main... Un récit terrible et bouleversant sur la folie du pouvoir, la guerre, l'engagement, les femmes, le pardon et l'amour. Dominique Baillon-Lalande (05/03/14) |
Sommaire Lectures Albin Michel (Janvier 2014) 192 pages - 16 €
Bio-bibliographie sur le site de l'auteur : www.faribahachtroudi.fr |
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