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Blaise HOFMANN

Capucine


Blaise Hofmann signe ici un "roman biographique", genre intéressant qui mêle la quête de l’auteur à la première personne, ses recherches, ses déplacements, ses rencontres, les éléments biographiques recueillis et les témoignages des personnes croisées au fil du travail. Cela donne un livre très humain autour d’un personnage contrasté, une "beauté froide", peu à peu enfermée dans un rôle, une image qui l’emmènera aux sommets, comme mannequin à Paris et actrice à Hollywood, et au plus profond de la dépression et de la solitude jusqu’au plongeon du huitième étage de son immeuble de Lausanne à 62 ans.

Les quatre parties du livre portent des noms de villes : Saumur, Paris, Hollywood, Lausanne. Le parcours biographique se confond avec le géographique. Et chaque fois, l’auteur se rend sur place, marche dans les rues, frappe aux portes, rencontre des témoins, visite les archives, épluche la presse locale. Comme un détective enquête autour d’un mystère et c’est vrai qu’à bien des égards, cette femme est restée mystérieuse.

À Saumur, l’auteur est sur les traces d’une petite fille, Germaine Lefebvre, née à Saint-Raphaël en 1928 mais dont la famille a rapidement déménagé en Touraine. En 2015, les parents et le frère de Germaine ne sont plus là pour parler d’elle. Alors l’auteur cherche tous ceux qui ont pu la connaître, aller à l’école avec elle. Ils ne sont pas nombreux mais il peut visiter la maison et accéder à des archives pour nous montrer la fillette à l’école, mettre des mots sur sa vie pendant la guerre et sur ce viol à douze ans par le grand-oncle Ernest que Capucine évoquera plus tard dans un film qui lui sera consacré. Tout en allant au lycée, elle fait des travaux de secrétariat et à 18 ans, elle prend le train pour Paris.

À Paris, Germaine suit des cours de théâtre,  travaille comme serveuse dans une cave de la Rive Gauche et profite de toutes les rencontres. En 1950, à 22 ans, elle épouse un jeune comédien, Pierre Trabaud, mais divorce six mois plus tard. La mode est en pleine expansion et voit émerger de nouveaux créateurs. Germaine consacre alors son temps et son énergie au mannequinat où son image rencontre l’air du temps. « Les magazines de l'époque prônent des mannequins à l'ennui distingué. On rejette le naturel, les femmes saines et épanouies, un esprit sain dans un corps sain. On célèbre l'élégance racée, l'esthétisme théâtralisé, la distance sophistiquée. Elle correspond à l'idéal de l'après-guerre, elle y ajoute sa touche personnelle, dans le regard, une lueur d'autodérision. »
Elle a pour ami un jeune couturier qui vient de lancer sa propre maison, Hubert de Givenchy. C’est lui qui trouve ce nom, Capucine. Son amitié restera fidèle jusqu’à la mort de Capucine et même au-delà comme il l’explique à l’auteur qui est venu frapper à sa porte en 2015. « Une semaine après l'enterrement, Hubert de Givenchy a reçu chez lui, à Paris, les cendres de Capucine. Selon les vœux de la défunte, il les a répandues dans le petit bois de sa résidence de campagne, au Château de Jonchet, à Romilly-sur-Aigre, à mi-distance de Saumur et de Paris. »

À trente ans, Capucine « est lasse de jouer les potiches, fussent-elles chiquissimes [...] elle rêve de troquer ses podiums de défilés contre un studio de cinéma [...] elle remballe ses étoffes luxueuses, fait sa valise, se rend à la Gare Saint-Lazare, prend un billet aller simple pour Le Havre et embarque dans un transatlantique. »
Elle arrive aux États-Unis sans connaître personne dans le milieu du cinéma mais, là encore,  elle sait profiter de toutes les rencontres, de toutes les opportunités et son image fera le reste. Le parcours est difficile mais, ici aussi, elle atteint le sommet. La filmographie est impressionnante. Comédiens, producteurs, amants, la liste est longue et prestigieuse. Ces années années-là sont « les dix glorieuses ». Mais le succès n’empêche pas la lassitude, les regrets, la dépression...

À quarante ans, elle quitte Hollywood pour Lausanne. Beaucoup de ses amis sont déjà installés en Suisse, notamment la plus proche, Audrey Hepburn, mais aussi Yul Brynner, Blake Edwards, David Niven, William Holden et tant d’autres... Elle continue à jouer, elle lit beaucoup, essaie d’écrire, vit une histoire d’amour avec un jeune Anglais... Les années passent, le téléphone sonne moins, elle vit seule avec ses chats. Le 17 mars 1990, à soixante-deux ans, elle enjambe le balcon...

Blaise Hofmann est conscient que le nom de Capucine ne dit plus rien à personne, ou presque, et c’est aussi l’enjeu du livre. Retrouver les souvenirs, rendre la mémoire, réincarner cette actrice distante surnommée "le héron hautain" mais sans oublier la femme joyeuse et aimante qu’elle a pu être par moments, l’amie fidèle qu’elle était aussi. Quête, enquête et roman, l’auteur nous livre un émouvant portrait de femme, portrait aussi d’une époque et de la difficulté d’accepter le temps qui passe. « Les cowboys sont éternels, on aime leurs rides et leurs démarches lourdes, ce sont des gentlemen. Les femmes ne durent pas. Seuls les sportifs de haut niveau les comprennent. » Blaise Hoffmann aussi l’a comprise et la raconte avec une grande délicatesse. Un beau travail et un bel hommage.

Serge Cabrol 
(22/10/15)    



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Lectures









Éditions Zoé

(Octobre 2015)
216 pages - 18 €











Blaise Hofmann,
né en 1978,  vit à Lausanne, écrit pour divers journaux et anime des ateliers d'écriture. Il a déjà publié six livres et des nouvelles dans plusieurs ouvrages collectifs.



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de l'auteur :
www.blaisehofmann.com









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