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Yves HUGHES

Méandre



Mortimer, atteint du syndrome d'Asperger (autisme de haut niveau), n'a jamais su déchiffrer l'expression du visage de sa mère, ni des autres êtres qui lui font face. « Quand je regarde votre visage, dit-il, je vois un nez, des yeux, une bouche, mais je ne coordonne pas ces perceptions pour en déduire un sentiment. Je perçois trop les détails aux dépens de l'ensemble. » Pour cet enfant d'une froideur insondable, depuis toujours, le monde est peuplé d'êtres neutres et d'absence de toute manifestation d'émotion.
Ses parents qui habitent la semaine un superbe appartement donnant sur la Tour Eiffel et passent week-ends et vacances en Normandie dans une longère située au bord d'un méandre de la Seine que Mortimer affectionne tout particulièrement, appartiennent à une classe aisée.

Celui que autres élèves appelle ''Mort'' puis ''Mort-et-meurs'' (« Je ne savais lequel d'entre eux avait eu cette trouvaille et j'ignorais s'ils mettaient un S ou un T à la fin. »), grâce à une intelligence aiguë et à une aptitude hors normes pour les mathématiques, fait après le bac de brillantes études de droit qui l'ennuient puis de mécanique des fluides qui le passionnent.

Lors d'un voyage d'affaires à Singapour où, pour une fois, Madame accompagnait son mari, l'Airbus A380 qui les transportait, cette « baleine volante poussée par quatre réacteurs Rolls-Royce Trent 900, dotés d'un rayon d'action de 15000 km », est tombé en pleine mer d'Oman. Aucun rescapé pour raconter et corps des 612 passagers et de l'équipage introuvables.

Mortimer qui avait alors 28 ans, ne changea rien à ses habitudes, semaine de travail à Paris et week-end en son ''Paradis'' normand, entre les voisines Darianne et Elaine, leurs maris (Antoine et Serge), les poiriers du premier couple et les pommiers du second. Les deux femmes s'occupent de son poulailler en son absence et rivalisent d'attentions à son égard lui apportant confitures et plats divers pour varier de son éternel poulet du week-end et de ses œufs frais. Mortimer apprécie leur compagnie et celle des deux hommes qu'il aide parfois dans les vergers et goûte le calme, les odeurs, les couleurs de la campagne, la proximité du fleuve, ses conversations avec les oiseaux dont il étudie le langage.
Une vie réglée et sans affect.
A Paris ou au ''Paradis'', ses journées sont organisées autour de rites obsessionnels comme calculer la longitude et la latitude de ses déplacements, la vitesse du train de Rouen en s'interrogeant sur la taille de ses roues et son incidence, compter tout ce qui peut l'être, nager pour se maintenir en forme et appréhender sur son corps un élément extérieur, écluser la cave exceptionnelle constituée par son paternel en écoutant la musique de Khatchatourian ou relisant Pascal dans la belle collection de ''La Pléiade''. La pluie, par contre, l'angoisse immodérément.
Et s'il s'abandonne occasionnellement aux plaisirs sexuels, c'est presque par souci d'hygiène et de normalité, sans émotion particulière, avec homme ou femme mais, en général, pour un unique épisode.

A 36 ans, les retrouvailles à la sortie de la piscine avec un ex-camarade de lycée devenu entraîneur de badminton, va changer sa vie. Mortimer, fasciné par la courbe parfaite formée par la trajectoire du volant, se découvre une nouvelle passion pour cet objet étrange. L'ingénieur en vient à abandonner son travail pour se lancer, avec le perfectionnisme et l'obstination qui le caractérisent, dans l'entreprise de la création et la fabrication du volant idéal à base de bouchons de champagne et de plumes d'oie....
De quoi faire faire basculer sa vie hyper-organisée dans une folie aussi discrète qu'effrayante qui le conduira à commettre l'inimaginable...

L'ensemble du roman est, à l'image de son protagoniste principal, étrange, froid et inquiétant.
Seuls les deux couples d'exploitants agricoles y insufflent un peu de vie, d'émotion, d'humanité et de chaleur. Dans les marges.
Pour dresser le portrait de Mortimer, son antihéros, et restituer la description minutieuse de son quotidien, Yves Hughes accumule les détails et les exploite jusqu'à nous offrir une vision de la réalité perçue à travers une loupe déformante, effrayante et en concordance avec le côté décalé, obsessionnel et délirant du personnage. Un processus parfait pour installer progressivement un climat d'angoisse et générer un suspense digne d'un polar.
Mortimer est une machine lancée vers la folie et si la probabilité d'une issue dramatique s'impose assez vite, se pressent, aucun indice ne permet au lecteur de deviner où et comment le déraillement va avoir lieu et quelles en seront les victimes collatérales.

Un roman à la construction et à l'écriture maîtrisées avec rigueur dont on ne peut qu'admirer l'efficacité.
L'humour masqué qui affleure parfois et l'aspect énigmatique de la fin (sur laquelle bien-sûr je resterai muette) ajoutent quelques pincées de sel supplémentaires à la lecture et confèrent à l'ensemble une vraie originalité.

Le lecteur déstabilisé est happé jusqu'à la dernière ligne et s'interroge encore, une fois le livre refermé, sur ce qui lui a été si subtilement caché...

Une réussite.

Dominique Baillon-Lalande 
(07/06/14)    



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Stock

(Mars 2014)
272 pages - 19 €









Yves Hughes,
né en 1960 à Genève,
est l'auteur de romans policiers, de nombreux romans pour la jeunesse, de scénarios pour la télévision, de sketchs pour les "Guignols de l'info" et de fictions radiophoniques. Méandre est son deuxième roman chez Stock..



Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur :

www.yves-hughes.fr





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