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Marie LEBEY

Mouche'


Mes trois garçons s'étaient attachés à cette grand-mère belge un peu braque, qui refusait d'être appelée mamie pour prendre le nom plus énigmatique de mouchka, qui signifie bonne-maman en russe, mais que ses petits-enfants derrière son dos surnommaient Mouche'.

L'auteur évoque avec tendresse et humour la vie de sa mère aujourd'hui âgée de plus de quatre-vingts ans. Au fil de souvenirs et d'anecdotes, nous partageons les drames et les bonheurs qui ont constitué son existence.
Des moments difficiles, il y en a eu, comme cette tuberculose contractée à 18 ans qui a conduit Mouche' dans un sanatorium en 1949 au sud de Baden-Baden. Mais là encore, c'est l'humour qui l'emporte et l'auteur nous raconte cet épisode comme l'origine du surnom dont a été affublé le frigo familial, "mon petit Jacques". Au sanatorium, une grande rouquine lesbienne s'asseyait toujours à côté de ma mère en l'appelant "mon petit Jacques".
- Mon petit Jacques, vous êtes trop maigre ! Prenez la fin de mon dessert, mon chou ! J'en ai soupé du riz au lait !
Des années plus tard, pour se venger, ma petite mère belge avait transformé cette grande et belle rouquine lesbienne en vieux réfrigérateur phtisique.

Des drames, Mouche' en a connu d'autres, comme la mort de son mari dans un accident d'avion.
Elle avait fait un très beau mariage avec mon père, leur couple marchait bien. Après l'accident, ce ne fut pas facile de se retrouver veuve, à quarante ans, avec quatre enfants. Sa vie ressemblait à un bout de pain entamé par la poisse, gangrené par quatre virus dévastateurs qui luttaient contre la reconstruction de son tissu amoureux.

Deux ans plus tard, c'est la mort de Clara, sa fille aînée, dans un accident de voiture. Parfois, le sort semble s'acharner et le malheur bégaye...
Ces décès "avaient nettoyé au napalm tous les liens familiaux".
Mouche' a développé alors des comportements étranges. Elle s'est mise à chanter, "pour un rien, n'importe où, n'importe quoi". "Elle oubliait aussi les rendez-vous, les fêtes et les anniversaires. Elle écorchait souvent le nom des gens ou des vedettes de cinéma. Elle garait sa Twingo toujours mal, en mordant sur le trottoir. Elle perdait son portefeuille avec tous ses papiers, elle cherchait son sac à main partout, sa brosse à cheveux, les clés de la maison, ne se souvenait plus de son code de carte bleue. Elle marchait dans la rue, la tête dans les épaules, comme une tortue de bande dessinée."

L'auteur raconte aussi des épisodes de sa propre enfance, comme ces vacances à Cabourg dans la villa Double-Six et sa découverte de Proust quand ses premières règles l'ont privée de baignade avec ses cousines et l'ont obligée à garder la chambre. "À défaut de jambe cassée, je profitais de la station allongée qui n'était imposée pour briser la quarantaine où mon nouveau statut de femme m'avait plongée, et demandai à ma chipie de sœur de me monter un des tomes de La Recherche qui se trouvait dans la bibliothèque du salon. […] Au fil des pages, j'entrevoyais un univers à l'avant-garde d'Amour, gloire et beauté : impitoyable, frivole et parfumé, où les baise-mains passionnés se substituaient à toutes les sucreries que j'avalais à longueur de journées."

Elle nous présente divers membres de la famille qui compta même un cardinal.

Certains titres de chapitres ajoutent des notes d'humour au récit : "À dix-sept ans, j'étais un pur-sang qui n'avait encore jamais couru, rien gagné, pas couché". "Je les aimais courageux, comme des petits sangliers des Ardennes"...

Nostalgique avec légèreté, affectueux et ironique, coloré d'humour et de tendresse, voilà un bel exemple d'hommage d'un écrivain à sa mère, qui rappelle que l'amour filial n'est pas un grand fleuve tranquille et qui prouve que l'écriture, bien maîtrisée, permet de réussir de jolis portraits.

Serge Cabrol 
(07/02/13)    



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Lectures









Léo Scheer

(Janvier 2013)
128 pages – 18 €









Marie Lebey,
qui a évoqué dans son premier roman, Dix-sept ans, porte 57, sa liaison avec le chah d'Iran et a été l'épouse du footballeur Dominique Rocheteau (le père de ses trois enfants présents dans Mouche' ), est l'auteur de cinq romans.