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Pierre LEMAITRE
Dans la pagaille de la démobilisation, les deux soldats rescapés
ne vont plus se quitter. Avec un dévouement touchant, Albert prend en
charge Édouard, gueule cassée qui "n'a pas plus qu'un
visage quasiment vide, sans nez, sans bouche, sans joues." Dans le civil, Édouard, homosexuel, est issu de la très riche famille Péricourt. Passé par les meilleures écoles, il a été un enfant sensible, fantaisiste, un artiste en herbe aux dons inouïs pour le dessin. Son père, capitaine d'industrie proche du pouvoir, s'investit dans son éducation mais "Édouard avait sept, huit ans quand il fallut se rendre à l'évidence. C'était un échec." Dès lors, Péricourt ne cessera d'humilier son enfant. Quant à Albert, fils du peuple, être tourmenté, indécis, il va se révéler dans la prise en charge de son ami. En ces lendemains de l'après-guerre, les deux ex-poilus vont monter
une opportuniste et juteuse arnaque en proposant aux communes de France un catalogue
(dessiné par Édouard) de monuments à la mémoire
de leurs enfants morts pour la patrie. On paye quasiment à la commande
un mémorial dont on ne verra jamais la couleur. Au fil des pages, d'atypiques personnages s'entrecroisent et complètent, par de jolis coups de suspense, l'univers d'un roman déjà noir. Il y a l'inspecteur de l'Etat, Merlin, qui signale dans un rapport à l'administration que "des soldats enterrés sous un nom qui n'est pas le leur, c'est déjà embarrassant, mais que disparaissent leurs affaires personnelles ", il y a la petite Louise, amie d'Édouard, ou Labourdin être falot à la botte de Péricourt père. Sous un angle plus métaphysique, Pierre Lemaitre aborde l'univers claustrophobe des tranchées. Cette promiscuité d'hommes isolés dans le froid ou le gel, bombardés par les obus, chargeant à la baïonnette avec le "peut-être" de la mort imminente, perspective que chaque soldat entrevoit pour lui-même. L'auteur reconnu de polars et de thrillers laisse entendre les affres d'une génération sacrifiée, du poilu livré à lui-même dans la paix retrouvée d'une société française en pleine mutation. Cent dix ans tout juste après le premier Goncourt (Force ennemie de John-Antoine Nau), Au revoir là-haut, roman au long souffle, nourri d'une intrigue habilement ciselée, ne lâche pas avant la dernière ligne un lecteur avide d'histoires. Patrick Ottaviani (18/01/14) |
Sommaire Lectures Albin Michel (Août 2013) 576 pages - 22,50 € Prix Goncourt 2013
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