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Le roman est porté par Mathias, le narrateur, dont on n'apprendra pas grand-chose sinon qu’il fut étudiant passionné d'histoire et qu'il se définit comme « chercheur en Révolution ». Un temps surveillant dans un collège jusqu'à ce que son poste soit supprimé, il est libre de tout engagement y compris avec sa petite amie Sylvie, que la rencontre de Myriam, avocate, risque fort d'éclipser assez rapidement. Soudain, près du Palais de Justice Mathias croise une jeune avocate pressée à qui il déclare que « la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit également avoir le droit de monter à la tribune ». La jolie femme, qui reconnaît les propos d'Olympe de Gouges, sourit, le laissant espérer un retour au palais après le rendez-vous professionnel qui l'appelle en banlieue. Une rencontre de hasard que Mathias transformerait bien en relation amoureuse. Issus d'une autre génération, il y a aussi un académicien sûr de lui, un sénateur, une vieille dame vive et sympathique qui cherche à échapper à la résidence de personnes âgées où sa famille voudrait la caser, un vieil ouvrier immigré à la retraite qui tombe sous son charme... Pendant ce temps, s'approche la rumeur sourde d'un accident (un mort ?) à l’hôpital, « A Gonesse, ou peut-être aux Lilas ». Des réductions de personnel auraient été fatales à quelqu’un, semble-t-il. Des émeutes auraient éclaté en banlieue, le trafic du RER s'en trouverait perturbé, et même si pour ce petit monde parisien la périphérie est un monde bien lointain et que le quotidien des protagonistes ne s'en trouve pas directement perturbé, cela vient alimenter le bouillonnement sous-jacent de la société et le parasiter par le sentiment de peur. A la fin du roman, « le travail commence » pour Célestine qui accouche, très belle métaphore pleine d'espoir qui s'élargit aux autres et donne à l'hôpital, où pour des raisons diverses d'autres protagonistes se retrouvent, un air de fête.
Ce livre n'est pas un appel à la révolution mais un bilan et un panorama des idées de ceux qui voudraient, sans consensus ni fédération, un changement. Mathias n'est pas un activiste politique mais un homme en colère qui regarde le présent sous le prisme de cette Révolution française qu'il a étudiée avec enthousiasme. En considérant toute l'invention qu'il a fallu avoir à la Révolution pour s'attaquer aux questions de la propriété, du droit à l'existence, des femmes, de l'esclavage, il se dit que certaines des clefs qu'ils ont utilisées alors, que le réinvestissement des mots face au verbiage politique, pourraient peut-être servir de levier à un nouvel élan. Se situant moins dans le champ de l'idéologie que dans celui de l'Histoire, il cherche, par le collectif et la parole, la voie pour élaborer un avenir différent. Et c'est cette récolte verbale, cette polyphonie nourrie de dialogues qui, en multipliant les angles de vue, donnent plus la température de notre époque qu'elles n'apportent de réponses toutes faites, et fournissent le matériau d'une réflexion nourrie ancrée dans le réel et le présent. Paris, haut lieu de la Révolution, avec ses parcs, ses édifices, ses rues, ses bars, ses transports, mais aussi haut lieu de la diversité, est ici un élément symbolique important. Son agitation permanente accentue l'effet de mouvement de tous ces personnages qui marchent, se croisent, se recroisent parfois, dans une effervescence de ruche, et fait un écrin naturel à la multiplicité des protagonistes. Mais au-delà de son côté militant et de la remise en cause de ce système capitaliste néo-libéral qui transforme l'homme en marchandise avec un nouveau mode d'asservissement, ce roman est surtout celui du désir. Il affirme la nécessité et l'envie d'une autre société où le citoyen et sa parole retrouveraient une place, celle d'un vivre ensemble dans la liberté et l'égalité, ici et maintenant. Il ose exprimer le rêve d'un avenir où les mots « Hommes », « bonheur », « solidarité » et « espoir » retrouveraient leur valeur. Ce roman audacieux, par sa forme éclatée dans l'espace et le temps, par cette narration libre qui rejette le carcan des tirets et guillemets et mêlent les phrases dans un rapport dynamique pour en faire un tout cohérent, par son exubérance verbale nourrie d'associations, improbables parfois, qui finissent par faire sens, incarne magistralement ce désordre foisonnant, disparate voire empreint de contradictions des paroles spontanées, envisagées comme les briques nécessaires à la construction d'un autre monde possible, partagé, libre, juste et fraternel où la culture et le langage retrouvent leur place essentielle. C'est un superbe livre plein de jeunesse où l'espoir est étonnamment présent, où les mots, loin du ressassement, de l'aquoibonisme et de la nostalgie ambiants, portent le désir et poussent vers le côté lumineux de la vie, encourageant chacun à la réflexion, au mouvement et à l'action, que Leslie Kaplan nous offre ici. Gorgé de sève et de joie il résonne fort en ces temps de désespérance latente mais fait aussi écho à l'actualité de la Grèce, des « Indignés » en Espagne ou des « Nuit debout » chez nous. Débordant d'énergie et de chaleur, il fait pétiller les yeux d'envie pendant sa lecture et pose un sourire sur les lèvres. Dominique Baillon-Lalande (24/06/16) |
Sommaire Lectures P.O.L. (Janvier 2016) 256 pages - 16,90 €
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