L’auteure phare des éditions Sarbacane a encore frappé. Et frappé fort. Qui eût cru qu’il aurait fallu puiser dans le secteur de la littérature jeunesse pour trouver un vrai livre engagé ? C’est pourtant le cas avec le dernier roman de l’audacieuse Marion Brunet qui, sur deux cent cinquante pages, transporte le lecteur dans un militantisme de gauche que l’on croyait à jamais perdu.

Bien sûr, le monde actuel a encore ses pôles de résistance – et Marion Brunet ne manque pas de les nommer dans son roman, le rendant aussi actuel qu’un bon livre d’histoire – mais, ici, c’est autre chose. C’est d’engagement total que font preuve les personnages de Dans le désordre. Larguer les amarres de la famille, des études, de la bourgeoisie. C’est mettre un coup de pied dans nos fourmillières bien huilées et se poser cette question, si fondamentale qu’on l’oublie : comment vivre différemment ? Différemment de la meute que l’on voudrait que nous formions, surveillés, marcketés et policés. Big brother is watching you. Marion Brunet nous le rappelle.

Les personnages du roman que sont Ali, Marc, Tonio, Jules, Lucie, Basile et Jeanne, se posent la question du vivre autrement tous les jours, voire à chaque battement de cœur. Et ils y répondent en se soudant comme des frères et en allant squatter une maison abandonnée. Entre fêtes, bières, bras qui se serrent, collages d’affiches et chansons que l’on croyait reléguées aux oubliettes (chanson de la Commune, airs de Victor Jara – dont la dramatique fin est racontée et donne des frissons aux vieux lecteurs), ces jeunes refont le monde comme, jadis, hippies et gauchos l’avaient fait.

On prend alors un coup de jeune, un vrai. Car rien n’a changé. Le monde à construire est le même. Les rêves sont les mêmes. Les ennemis du peuple sont les mêmes. On pourrait s’en attrister, se dire que si rien n’a changé, c’est que ceux d’avant ont échoué. On se dit seulement que l’ennemi est coriace et que la jeunesse en a pris conscience à son tour. La lutte continue.

Car la jeunesse gueule. La jeunesse manifeste. La jeunesse emmerde le monde. Le monde, hélas, sait le lui rendre. Lors d’une manifestation, Basile est tué sous des coups de matraque. Bavure sans suite pour la police. Tristesse infinie pour la bande de personnages. Mais aucun ne baissera les bras. Au contraire, la mort injuste de Basile donnera à chacun la force de croire encore plus en ses convictions.

Qu’on se le dise donc : la relève est là, assurée notamment par Marion Brunet et Dans le désordre qui, il faut le souhaiter, sera lu par tous les jeunes de France, de Navarre et de plus loin encore. Que les parents ne se retiennent pas de le lire non plus. Ni les enseignants. Ni tous ceux qui ont cessé de croire. Ils palpiteront, se réveilleront, souriront. Ils espéreront.

Isabelle Rossignol 
(20/02/16)