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Ici, dans cette petite ville des Vosges, l'usine Velocia est depuis plusieurs générations au centre de la vie du canton et du quotidien de tous. Mais les temps ont changé. Comme tant d'autres, victime de la mondialisation et la financiarisation, elle se tourne vers des plans sociaux successifs avec leurs licenciements par vagues. Ils ne sont plus aujourd'hui qu'une poignée à avoir sauvé provisoirement leur tête. En cas de grosses commandes, des vacataires viennent renforcer l'équipe le temps nécessaire. L'inspection du travail est pour ce dossier représentée par Rita. Une femme directe et déterminée pour qui sanctionner les patrons-voyous dans cette région dévastée par la mort programmée de l'industrie est une vraie mission, même si elle ne peut finalement pas grand-chose pour sauver ceux qui sont condamnés à pointer bientôt au chômage. Bruce habite avec son adolescente de fille chez son père, ancien de l'OAS, dans une vieille ferme à l'écart. C'est à l'usine que Martel a rencontré ce costaud qui fait des vacations. En fait, cet emploi lui sert de couverture pour ses activités plus lucratives : le deal de drogue dans la boîte de nuit où il est videur. Quand le dancing a cherché une deuxième paire de gros bras en renfort, le voyou s'est naturellement tourné vers son ami pour lui proposer le poste, par admiration autant que pour pouvoir poursuivre tranquillement son petit trafic. Martel, aux abois, n'a pu que saisir l'occasion qui se présentait et quand Bruce s'est vanté auprès de lui de contacts avec les Benbareck, les truands du coin, il a vu là une chance de parvenir à régler ses problèmes. Un très mauvais calcul...
Ce livre intègre tous les ingrédients du roman noir : un voleur, un Colt 45, une putain, un enlèvement, des morts violentes, des trafics. Étouffé par l'épaisse couche de neige, fluctuant selon les caprices du hasard, le drame se joue sans qu'à aucun moment la police n'intervienne. Aux animaux la guerre est aussi un roman social sur la fin de l'ère industrielle et du plein emploi en Lorraine. Sur la misère, le désespoir et la rage au quotidien, sur les magouilles aussi, trouvées par les uns et les autres pour survivre. Comment ces fils d'ouvriers, postulant pour des usines déjà moribondes après des études techniques qu'ils ne parviennent à valoriser, réagissent-ils face au libéralisme fou polarisé sur ses logiques de profits immédiats ? Comment ces éternellement précaires pourraient-ils s'imaginer un avenir et croire assez à l'humanité pour ne pas se morfondre dans l'abandon ou au contraire prendre tous les risques pour trouver de l'argent facile et se faire une place ? Mais Nicolas Mathieu n'est pas l'homme du plaidoyer ou du pamphlet et, sans en nier la colère qui s'y devine, ce récit sur la fin du monde ouvrier qui met en scène les modes de pensée des différents acteurs sociaux impliqués dans ce jeu de quilles meurtrier, est avant tout clinique et analytique. Ce sont par contraste les personnalités des différents protagonistes, paumés, rageurs, prêts à en découdre, leurs dérives et leurs réactions extrêmes, qui habitent et singularisent le récit, transformant le documentaire premier en vrai roman noir. La violence socio-économique et celle des personnages se renforcent l'une l'autre jusqu'à l'effondrement général. Cette violence a l'intensité du désespoir conjoncturel et de la révolte qui brûlent les protagonistes de l'intérieur. À la fois conséquente du sujet abordé et inhérente aux hommes, elle explose à la moindre occasion comme des mines judicieusement placées par l'auteur aux moments de bascule de son histoire. La construction du roman est polyphonique et chaque chapitre donne la parole à l'un des personnages, sans lien systématique de l'un à l'autre. À l'intérieur même des chapitres, l'auteur, pour mieux façonner son texte à l'aune de la débâcle désordonnée qu'il nous narre, se joue de la chronologie des événements et ne rechigne pas à nous emmener sur des pistes qui s'avèrent des impasses (celle sur la guerre d'Algérie en est un bel exemple). Un parti-pris que renforce la vivacité de la langue et le foisonnement du récit, qui capte entièrement l'attention du lecteur tout en le déstabilisant comme pour mieux le positionner en empathie avec ces loosers qu'il borde de sa bienveillance. Un livre très noir sur une mondialisation aveugle qui finit, à force de les considérer comme des moutons, par transformer les hommes en animaux errants et sauvages. Dominique Baillon-Lalande (16/08/16) |
Sommaire Noir & polar Actes Sud, 2014 Babel Noir, 2016 448 pages - 9,70 €
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