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François-Bernard MICHEL


Le professeur Marcel Proust


Au fil des ans, l'asthmatique Proust a acquis un savoir médical, issu de son privilège familial de fils et frère de professeurs et de ses nombreuses consultations. À la table de la rue de Courcelles, confiera-t-il à Céleste, le soir, son père parlait de malades et de maladie : « Il disait : j'ai vu Un tel, il a ceci ou cela, je lui ai indiqué ce traitement et il le décrivait. Si bien que, voyez-vous, quand on est fils de médecin, on finit par le devenir soi-même... »

François-Bernard Michel, Professeur de médecine lui-même, analyse très bien la relation que Marcel Proust a établie avec sa maladie et les nombreux médecins qu’il a consultés. Adrien Proust, médecin, était en conflit permanent avec son fils. Il n’a jamais compris l’asthme de son fils. Robert, le frère cadet de Proust, était lui aussi médecin. 

François-Bernard Michel nous montre les liens entre l’asthme et la création littéraire de Proust.

C’est un essai passionnant littéraire et médical car il retrace l’histoire médicale du traitement de l’asthme et les différentes interprétations et traitements qui existaient à la fin du XIXème et au début du XXème siècle.

Marcel Proust a souffert toute sa vie de cette maladie, « malheureuse victime d’une maladie longtemps énigmatique » : « L’extrême souffrance physique, écrit Proust, a réduit au silence tous les autres hommes que j’ai en moi. »

Marcel Proust a beaucoup critiqué les médecins qu’il trouvait incompétents car pas assez à l’écoute de leur patient et qui souvent disaient des bêtises quand ils ne savaient pas quoi faire et ne voulaient pas reconnaître leur incompétence. « Voilà sa désillusion, la séparation apparemment irrémédiable de la compétence et de l’humanisme. C'est ce qui l'amena à porter sur eux ce diagnostic gravissime : ils sont nuls dans l'essentiel de leur métier, sensibilité et attention à la souffrance humaine. » « Franchissant un pas décisif, il  s’estimera "plus médecin que les médecins". »

L’ouvrage se divise en plusieurs parties en fonction de ce que les médecins projetaient sur leurs patients :
I. Le temps du « nerveux ». De célèbres professeurs de médecine incompétents et nocifs.
II. Le temps du psychosomatique. Les médecins du progrès et les cures.
III. Le temps du deuil et des reviviscences.
IV. Le temps de l’inconscient et des réminiscences.
V. Le temps du souffrant et du roman.
VI. Le temps du novembre fatal.
VII. Le temps du Professeur Proust bibliothérapeute des asthmatiques allergiques et… autres.

Marcel Proust défendra l’idée d’une médecine où l’on écoute la maladie psychosomatique sans oublier de chercher aussi une vraie maladie. Il se passionne pour l’introspection de l’inconscient et nous voyons ses proximités avec l’approche thérapeutique de Sigmund Freud dans l’importance qu’il donne aux réminiscences.

Cependant, il va s’automédicamenter en prenant beaucoup de drogues qui auront des effets indésirables et parfois dangereux. 

Tout au long de l’ouvrage nous voguons du médical au littéraire comme ce qui s’est passé tout au long de la vie de Proust. Nous ressentons, grâce à l’écriture de François-Bernard Michel qui les rend très bien, toute la souffrance de Proust et toute son implication littéraire avec un rapport constant à la mort : « La mort, Proust se collette avec elle, il ne la nie pas, l’affronte, s’en fait une alliée. Commerce difficile mais consenti… »

François-Bernard Michel nous parle du rôle joué par les métaphores proustiennes notamment celle qui le marqua – « Parmi ses métaphores, je mentionne prioritairement celle, magnifique, qui me sidéra, décisive, lumineuse dans la sim­plicité de ses deux phrases : "On aurait dit, explique le Narrateur dans Du côté de Guermantes, qu'une partie de ma poitrine avait été sectionnée par un anatomiste habile, enlevée et remplacée par une partie égale de souffrance immatérielle, par un équivalent de nostalgie et d'amour. Et les points de suture ont beau avoir été bien faits, on vit assez malaisément quand le regret d'un être est substitué aux viscères, il a l'air de tenir plus de place qu'eux, on le sent perpétuellement." » – et du rôle que la lecture de Proust peut jouer dans la relation qu’il établit avec ses patients asthmatiques.

C’est un essai passionnant qui nous apprend beaucoup sur l’évolution du traitement de l’asthme, sur la complexité de son diagnostic, sur l’importance de la création littéraire, sur le lien entre maladie et écriture. L’écriture, à la fois précise et documentée, est parfaitement abordable. Très belle recherche.

Brigitte Aubonnet 
(20/12/16)    



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Gallimard

(Octobre 2016)
288 pages - 23 €














François-Bernard Michel,
né en1936 dans le Gard, professeur des universités, praticien hospitalier et médecin pneumologue, est l’auteur de près d’une trentaine de livres (essais, romans, poésie). Il est membre de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie des beaux-arts (Institut de France).



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