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Michèle AUDIN

Mademoiselle Haas


Dans ce recueil de courtes nouvelles, Michèle Audin, décline Mademoiselle Haas dans la peau de différents personnages : « Elles ont vingt ans, ou trente, ou un peu plus, en 1934. Elles travaillent. Elles s'appellent Mademoiselle Haas.
Elles sont bibliothécaire (adjointe), concierge, cuisinière, coiffeuse (de quoi parlaient les femmes chez la coiffeuse à Belleville en 1938?), première main flou, fraiseuse, infirmière, écrivaine (seul néologisme féminin dans cette liste), femme de chambre, institutrice (ah! mais presque toutes avaient rêvé de devenir institutrices !), journaliste, femme de ménage, chef de travaux (auxiliaire), ouvrière métallurgiste, libraire (employée), pianiste, physicienne, ourdisseuse, sage-femme, vendeuse... » C’est une idée originale qui nous permet de découvrir toute une époque et les métiers exercés par ces femmes.

Ce sont de superbes portraits de femmes vivant au début du XXème dans une période qui se situe entre les deux guerres mondiales. Le livre s’ouvre avec Catherine, 6 février 1934 et se termine avec Eveline, 20 août 1941. Chaque nouvelle est datée à côté du prénom. Nous découvrons ainsi 19 femmes, les problèmes à surmonter, les sentiments, les engagements, les solidarités, les humiliations, les inquiétudes liées à la situation du pays, les violences conjugales, les révoltes…

Catherine veut se faire avorter mais à cette époque c’est bien difficile : « Après le million et demi de jeunes Français que les gouvernements avaient sacrifiés sur les champs de bataille, empêcher un enfant de naître serait un crime contre la nation — une rhétorique dont la logique laissait à désirer, mais qui avait inspiré les législateurs (des hommes). Bref, l'avortement était un crime, de sorte qu'il était cher. »

Dans Léopoldine, 10 décembre 1934, le texte se construit peu à peu sous la contrainte : celle de  répondre à des questions.

Michèle Audin nous rappelle que le droit de vote des femmes n’est pas si ancien que cela : « Si j'avais pu voter, je crois bien que j'aurais voté pour les communistes la semaine dernière. Mais, je te rassure, je ne vais pas me laisser entraîner. Pourtant, elles sont vraiment enthousiastes et j'aurais plaisir à faire quelque chose avec elles, et même à faire quelque chose tout court... »

Et les inégalités existaient déjà : « Elle faisait un métier d’homme, mais elle touchait une paie de femme. […] Son tarif à la pièce était inférieur au tarif à la pièce des hommes qui faisaient le même travail.» 

L’engagement est aussi au cœur de certaines nouvelles : « Le malheureux met pavillon bas et s'excuse. Les vendeuses existent, mènent la grève, comme ouvrières et aussi comme femmes : la présence de trois femmes dans le cabinet Blum n'est pas étrangère à leur engagement dans cette grève et à leur confiance en elles. La victoire du Front populaire aux élections et la grève leur ont donné comme une nouvelle dignité, elles sont désormais convaincues qu'elles ne sont pas faites que pour recevoir des ordres. »

La guerre se profile : « Les puissants dirigeants des puissants pays d’Europe étaient réunis à Munich pour autoriser Hitler à envahir la Tchécoslovaquie. Un an après, c’était la guerre. »

L’engagement communiste est évoqué à plusieurs reprises. Nous apprenons beaucoup sur les motivations, les enthousiasmes, les doutes… Au moment du Pacte Germano-soviétique ce ne fut pas facile. 

Les violences conjugales sont au cœur de plusieurs nouvelles et montrent le courage de ces femmes. 

C’est un livre qui se lit très vite. Portés par l'écriture, nous passons de l’univers d’une femme à un autre qui ont parfois des liens entre eux. Nous sommes vite embarqués pour accompagner ces femmes. C’est bref, très varié et bien rythmé. C’est une belle plongée au cœur de l’humain qui nous offre ses différentes facettes. Les histoires individuelles s’imbriquent dans l’histoire du pays. C’est une très intéressante peinture des années 30 et un bel hommage rendu aux femmes.

Brigitte Aubonnet 
(21/03/16)    



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Lectures







L'Arbalète / Gallimard

(Janvier 2016)
200 pages - 18 €






Michèle Audin,
née à Alger en 1954,
est mathématicienne et membre de l’Oulipo. Mademoiselle Hass
est son troisième livre
chez Gallimard.


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