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Thomas MORALES

Adios


Il y avait eu les Je me souviens de Georges Perec ; plus tard, au début de son roman Les années, Annie Ernaux nous faisait une liste de ces moments-images qui « disparaîtront ». Ici, dans ces chroniques, les moments de Thomas Morales, ses retours sur images, nous sont proposés argumentés, explicités avec passion et sont tellement foisonnants que nous en resterions presque essoufflés. Il s’agit comme le précise le sous-titre d’un Éloge du monde d’avant où le lyrisme du chroniqueur, le plus souvent assorti d’une ironie mordante, ne pouvait que séduire le lecteur déjà gagné par l’énergie de l’écriture.

Regroupées en plusieurs chapitres, qui nous parlent du cinéma, de la radio, de la télévision, et nous rappellent aussi les bandes dessinées incontournables ou certains livres cités agrémentés de réflexions littéraires – nous ne le savions pas, mais réalisons alors qu’elles nous manquaient ! – ces chroniques nous font apprécier toute la richesse de ces années pas si lointaines… Leur titre, Adios, nous mettrait-il en garde contre l’oubli ? En prenant soin de nous fournir ce fixateur d’images ?

Ainsi, à propos de Michel Audiard : « Car derrière les bons mots d’Audiard il y a une culture maousse, une boulimie de savoir qui feraient rougir de honte nos "intellectuels" médiatiques. On trouve chez Audiard Céline, le maître vénéré, mais aussi Rimbaud, Prévert, Hugo, Musset, Bossuet, Apollinaire, etc. C’était une époque, les années 60-70, où le cinéma avait des lettres. »

Comme cet hommage à Jean-Paul Belmondo : « Belmondo a fait exploser notre cadre. Il a accéléré notre rythme cardiaque, nos désirs, notre élocution, ses mots résonnaient dans notre for intérieur comme des appels à la liberté » et l’auteur au passage ne se privera pas de coups de griffes pour certains critiques : « Avec leurs gros sabots idéologiques, ils étaient bien  incapables d’apprécier les sous-ensembles flous. Belmondo joue dans les interstices. Acteur secret et complexe, pudique à l’extrême, il n’a rien du balourd en cuir qui dégaine plus vite que son ombre. »

La flèche est souvent dure, mais participe de cette remise en place, telle que le veut l’auteur, soucieux de rectifier : « La comédie à la française recelait tous nos paradoxes, avec humour, légèreté et panache. Nous ne nous flagellions pas sur l’autel de la mondialisation. Nous poussions notre chansonnette, nous réinventions notre art de la scène, mélange de vaudevilles et de grands classiques, d’impertinence et de rigueur. Nous savions sourire de nous. » 

Ces chroniques vont aussi faire revenir sous la lumière quelques écrivains ou quelques œuvres littéraires qui n’ont pas eu la reconnaissance méritée ou le succès auquel elles pouvaient s’attendre. Ainsi il déplore que plus personne ne lise Jacques Perret, ou Jean-Claude Pirotte par exemple, car « Il y a des écrivains qui partent en fanfare, sous les hourras des foules ahuries et d’autres, sur la pointe des pieds, sans les flonflons académiques, sans l’émotion gluante des braves gens. Sans crier gare. »

De même qu’il précise ses goûts pour une certaine télévision : « Le charme de la télévision d’antan n’était pas aussi tapageur, obscène et faussement démonstratif que l’actuel PAF qui a pris un sérieux coup dans le pif. Les programmes naviguent entre le vide abyssal et la joyeuse tartufferie. »

Thomas Morales n’oublie pas non plus, de nous rajouter sans doute pour la route, quelques Je me souviens personnels…
« Je me souviens qu’en ce temps-là un ex-présentateur de JT savait lire autre chose qu’un prompteur. Bernard Rapp passait en revue Un siècle d’écrivains sur le petit écran. »

Alors que l’auteur joue sur des notes nostalgiques, distille ses regrets, ses enthousiasmes et ses plaisirs à propos de ce qu’il partage, il nous plonge dans cette écriture qui, lorsqu’elle prend un ton journalistique voire pamphlétaire, sait aussi adoucir le trait. Thomas Morales peut aussi bien manier la litote que la pirouette.

Des re-mises sous projecteurs, des rectifications, des injustices apostrophées avec brio, voilà ce que nous offrent ces pages.
Des chroniques que "tous les moins de vingt ans" devraient peut-être apprendre par cœur et que les "plus de" peuvent lire en activant leur mémoire afin de savourer encore un peu ces souvenirs. Et même lorsque le passé ne remonte pas toujours « sur l’écran noir de [leurs] nuits blanches »… (Il est contagieux Monsieur Thomas Morales)
Donc à vite consommer et sans aucune modération.

Anne-Marie Boisson 
(22/11/16)   



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Pierre-Guillaume
de Roux

(Septembre 2016)
176 pages - 17 €










Thomas Morales,
né en 1974, est journaliste, critique et écrivain.