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Charles PALLISER


Mère et fille



  Dans un avant-propos et une postface paraphés des initiales de l’auteur, on nous raconte que ce que nous allons lire est le manuscrit qu’un jeune Richard Shenstone a écrit entre le 12 décembre 1863 et le 13 janvier 1864, conservé dans les archives du Comté de Thurchester, versé au dossier d’une enquête criminelle, accompagné des lettres anonymes reçues par quelques habitants de ce même Comté dans la même période, celle précédant l’assassinat de William Davenant Burgoyne, jeune neveu du Comte et son héritier potentiel.

  On s’aperçoit vite que le machiavélisme de Charles Palliser ne s’exerce pas qu’au détriment de son lecteur mais qu’il va laisser son jeune héros de 17 ans, auteur présumé de ce journal intime, s’enfoncer de plus en plus dans le piège horrible que sa présence impromptue a suscité.

  Tout commence « naturellement » cependant. Richard, collégien à Cambridge, vient passer les fêtes de Noël avec sa mère et sa sœur qui viennent d’emménager, après la mort du père de famille, dans un vieux manoir délabré et, hanté, selon une vieille légende. L’ancienne maison Herriard, la branche maternelle, est située à deux heures et demie de marche de Thurchester et les marais qui l’entourent empêchent un accès direct à la mer et l’isolent encore plus du village, la petite paroisse de Stratton Peverel. Le décor est planté, pas très réjouissant. « J’ai vu s’étendre devant moi une infinité de soirées tout aussi mornes. Prisonnier d’une vieille maison poussiéreuse avec une vieille femme amère et une jeune fille irritable, et pour seuls compagnons les livres que j’avais apportés et dont, par ailleurs, la plupart se trouvaient encore dans ma malle. »

Un début qui fait penser aux romans de Jane Austen où la mort du père met au bord de la ruine et de la déchéance sociale une famille que seul le mariage de la jeune fille à un riche parti pourrait lui éviter. Mais l’atmosphère ici est tout de suite beaucoup plus sombre, mystérieuse et étouffante. Le narrateur nous dépeint, non sans humour, les habitants qu’il rencontre comme d’affreux hypocrites venimeux prêts à jeter l’anathème sur les congénères qui ne correspondent pas au code de la morale qu’ils ont instituée ou comme des êtres brutaux, frustres, étranges ou fous. Voici le premier portrait qu’il fait de la femme du Pasteur :
« Elle a des traits qui sembleraient aisément renfrognés si les fils invisibles de la bienséance ne les maintenaient en une caricature de sourire. Ses joues lourdes pendent de part et d’autre de son visage comme les rabats d’un casque de chair, et ses petits yeux sont nichés dans ses orbites comme des tireurs en quête d’une cible. »
Toutes les jeunes filles qu’il rencontre, sa sœur Effie en tête, ont l’air plus avide de richesse et d’élévation sociale que d’amour et semblent toutes avoir jeté leur dévolu sur le parti le plus enviable du Comté, le futur héritier William Davenant Burgoyne et se haïssent ouvertement pour cela mais veulent toutes aller au bal que le Comte organise prochainement. Ce qui n’empêche pas Richard de les trouver toutes jolies et de leur faire jouer dans son journal intime des scènes érotiques, qu’il écrit en grec et qui nous sont heureusement traduites !

Piquée de pointes d’humour par ce jeune homme irrespectueux, l’atmosphère n’en devient pas moins de plus en plus tendue dans le manoir, et vire au cauchemar aux alentours. Des lettres anonymes, au contenu atroce, circulent, des animaux sont retrouvés castrés et bien des mystères s’épaississent… Mais on ne peut absolument pas dévoiler l’intrigue qui est le complot même fomenté contre notre jeune – mais pas si innocent que ça – narrateur ni les surprenantes révélations qu’il couche sur son journal que le lecteur dévore avec jubilation !
   Pensez un roman policier victorien dont l’atmosphère rappelle les Hauts de Hurlevent, le suspense celui du Chien des Baskerville et, où, en Un tour d’écrou, Charles Palliser  verse dans les cervelles pleines d’Orgueil et Préjugés de ses personnages, le poison de la perversité d’une Rebecca ! Quel bonheur de retrouver les fragrances du Parfum de la dame en noir !

Sylvie Lansade 
(13/06/15)    



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Lectures









Joëlle Losfeld

(Avril 2015)
400 pages - 23,50 €


Traduit de l'anglais par
Christophe Mercier







Charles Palliser,
né en 1947, est un romancier américain qui habite en Angleterre.
Son roman le plus célèbre, Le Quinconce, s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires
à travers le monde.


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