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Fabrice PLISKIN
Pour échapper à sa condition, au ressassement des saisons,
à l'anesthésie des ans, bref, à la banalité
du quotidien, un marchand de lunettes se lance dans l'art contemporain. "Le
week-end, l'opticien se dilatait en artiste." Michel Gilardin part avec un gros handicap pour être reconnu sur le marché de l'art : c'est un petit commerçant parisien. Pour le monde de l'art : une bête fade, la race sans mystère et sans prestige des boutiquiers. Mais comme dans l'art contemporain tout est possible et qu'on n' était jamais absolument sûr, quand on prenait le train, quand on passait l'aspirateur, quand on avalait un somnifère, bref, quand on vaquait à ses occupations, de ne pas être en train de faire de l'art, Gilardin, finira par exposer dans le saint des saints : le centre d'art contemporain de la Punta della Dogana, l'ancienne douane des mers à Venise ! Le bébé gris, l'homme de boutique devient célèbre ! Car il avait développé une maladie moderne, disait-il. A force de voir des célébrités embonpoints, des célébrités bourrelets, des célébrités cellulite, à force de voir les sept poitrines les plus mal refaites, les orteils difformes d'Evangéline, l'aisselle hirsute de Britney, les cheveux gras de François-Xavier, les vomissements de Vanessa, à force de voir les célébrités prises en flagrant délit de se curer le nez ou les dents, à force de voir ce petit homme trapu et cramoisi qui courait en short, parmi ces gardes du corps, dégoulinant joggeur au bord de la syncope vagale, crapaude immanence à glandes – le président de la république –, Michel Gilardin vivait dans la crainte vague de retrouver un jour sa photo dans un magazine. C'est jouissif, caustique, cruel, lamentable. L'art contemporain, le snobisme, la bêtise, le parisianisme ne sont pas les seuls écornés, tout le monde en prend pour son grade, les obscurs, les flagorneurs, les artistes, les amoureux transis, les critiques d'art, les journalistes, les patrons du CAC 40, les écolos, les sans papiers, les présidents Il y faudrait un inventaire à la Prévert, ce que Pliskin fait aussi d'ailleurs, avec bonheur. Mais surtout ce que je retiendrai d'Impasse des bébés gris, c'est le festival du mot, la luxuriante débauche de propositions, l'asyndète poussée à son paroxysme, une écriture jubilatoire qu'on lit dans le même état ! Devenons dithyrambique comme Big Lips, le journaliste hyperbolique du roman : il y a du Bouvard et Pécuchet dans ce couple improbable du petit commerçant et de sa groupie et assurément du Flaubert, voire du Céline, dans le style de Pliskin ! Sa phrase, à l'instar des performances de Michel Gilardin, des baudruches, après s'être gorgée, saturée, se saborde elle-même : par trop plein, à force d'entassements, elle explose comme nous, de rire. Sylvie Lansade (26/09/13) |
Sommaire Lectures Léo Scheer (Août 2013) 256 pages - 20 €
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