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Raquel ROBLES
On est en Argentine sous la dictature. Les enfants vont alors devoir abandonner leur maison, qu'ils habitaient en
famille avec la grand-mère, leur école, leur quartier, pour suivre
l'oncle et la tante qui se proposent de les mettre à l'abri chez eux
à Buenos Aires. Là, les attend également une autre grand-mère
un peu folle, juive et rescapée du ghetto de Varsovie. Une famille communiste
qui donne le change aux enfants mais ne se berce pas d'illusions, entreprenant
rapidement d'obtenir la garde des deux petits pour leur éviter l'orphelinat.
Des gens un peu maladroits et peu expansifs, dont les deux garçons adultes
ont quitté la maison il y a déjà un certain temps, qui
font ce qu'ils peuvent. Parfois une amie de leurs parents, une camarade, leur rend visite, les prend
pour le week-end et leur parle d'eux, avant, car elle non plus n'a pas de nouvelles.
"Elle parlait de nos parents avec un naturel qui nous donnait à
tous deux l'impression d'entendre un claquement de porte et nous laissait muets
et alarmés. C'était agréable et c'était pénible.
C'était bizarre". Des années s'écoulent, noires et tremblantes. Ils y voient des
élèves suivre au loin leur famille pour fuir la police, le voisin
d'en face arrêté dans la nuit puis relâché quelques
heures après, la terreur dans les yeux de celle à qui on demande
un objet oublié dans la demeure des disparus, le rejet du professeur
particulier d'anglais de la fillette qui sous la pression familiale lui interdit
sa porte
La peur, partout, chez tous, transpire. En 1983, "à la télévision, l'Ennemi a publié une liste des subversifs morts au combats. Mes parents ne figuraient pas sur cette liste. [ ] Moi je savais que le Pire était pire." Si ce roman ne nous apprend rien de nouveau sur cette dictature militaire aux
victimes et disparus en nombre, ce n'est pas un roman de plus sur cette sombre
période de l'Argentine. Mais si on y retrouve la même narration des petits faits au quotidien et le souci d'être digne de l'héritage idéologique des siens, la comparaison s'arrête là, car le contexte ensuite diffère. Face à l'exil de l'une, la narratrice de Petits combattants qui forme un duo indissociable avec son jeune frère à la fois à sa charge moralement mais aussi moteur pour ne pas flancher, vit ce traumatisme de la disparition brutale de ses deux parents dans son pays et dans l'attente. Le récit progresse, de façon fragmentaire, à travers son monologue intérieur, au fil des souvenirs et des événements familiaux, avec en fond la vision romantique et schématique que l'enfant a du contexte politique, avec ses bons et ses méchants, les camarades et l'Ennemi. C'est à travers ses mots, en toute naïveté mais non sans violence, que le Buenos Aires de la dictature, frappé de peur et cadenassé par les arrestations permanentes (30 000 disparus, 15 000 fusillés, 9000 prisonniers politiques), par le poids de la religion illustré magistralement par quelques anecdotes scolaires, nous est restitué. Les familles des disparus, jamais n'auront connaissance du sort réservé aux leurs avant leur mort, ni de la nature et de la date de celle-ci. Mais ce roman c'est aussi une page d'enfance où l'absence, l'incompréhension, l'espoir, le chagrin, sont livrés en direct. Où le lecteur assiste sur quelques années (cinq ou six ans) à la construction psychologique et affective de deux enfants dans la tourmente. Le récit se nourrit, bien évidemment, d'une part autobiographique,
puisque les parents de Raquel Robles (Flora Pasatir et Gastón Robles,
secrétaire d'État à l'Agriculture du gouvernement de Héctor
Cámpora) furent arrêtés en 1976 à leur domicile,
alors que leurs deux enfants, dont l'auteur de cinq ans, dormaient. Mais, si
cela lui donne une authenticité palpable et génère par
empathie une émotion indiscutable, l'auteur a su néanmoins transcender
ses souvenirs pour qu'ils puissent se rapporter à toute la génération
qui a dû dans ce contexte particulier se construire au-delà de
la peur, la dissimulation et le silence. Un livre fort, drôle et émouvant. Dominique Baillon-Lalande (27/02/14) |
Sommaire Lectures Liana Levi (Février 2014) 144 pages - 14,50 € Traduit de l’espagnol (Argentine) par Dominique Lepreux
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