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Yasmina REZA


Babylone


Cette rentrée littéraire apporte un lot très agréable de romans qui font sourire. Bien entendu, il ne s’agit jamais de franche rigolade. Mais, tout de même, derrière des propos on ne peut plus graves, l’humour pointe, comme si la dérision et le burlesque étaient les tons que notre société actuelle imposait. Face à l’adversité, rions. Rions jaune mais rions.

Dans Babylone, la narratrice opte à ses dépens pour l’humour. Il faut dire que l’on ne se retrouve pas toutes les nuits en pantoufles dans le hall de son immeuble avec pour compagnon un voisin qui vient de tuer sa femme et l’a fait rentrer dans une valise qu’on lui a prêtée, la sienne étant trop petite pour la défunte. De cette cocasserie, que faire ? Où la conduire ? Yasmina Reza en fait un puits émotionnel.

Car ce voisin et cette voisine avaient partagé tant de ces petits moments que l’on dit anodins, un bonjour, un bonsoir et, non, ce n’est pas rien. Ils avaient tant de fois monté côte à côte les étages de leur immeuble. Ils en étaient devenus amis. Le voisin avait emmené la voisine sur les territoires de son enfance. La voisine avait connu la tante malade du voisin. Des liens s’étaient tissés, à la marge du quotidien, dans un espace qu’ils s’inventaient. Ni amitié, ni relation amoureuse. Une histoire indéfinie qui ne nécessitait pas d’être définie. Elle se vivait, c’est tout.

Le couple du voisin vivait lui aussi. La future défunte et lui étaient retraités dans un joli appartement fleuri où tout allait bien. Un chat, un petit-fils, sujets parfois de chamailleries mais sans plus. Le bio, pour la future défunte, était certes essentiel. De là à en mourir, il y avait un pas que ni elle ni personne n’aurait cru pouvoir franchir. Tel fut pourtant le cas. Le mari a tué l’épouse pour... Laissons la question ouverte car sait-on quel était le vrai sujet de discorde ? Chaque lecteur se fera son point de vue.

De toute manière, ce qui compte est ailleurs. Quand l’acte de tuer entre dans une existence ordinaire, comment transforme-t-il cet ordinaire ? Toute la force du roman de Yasmina Reza est là. Non seulement la narratrice et le voisin forment un couple insolite et émouvant mais on observe en plus le mouvement de ces transformations. Transformations infimes. Ou impudiques. Ou grotesques. Ou si banales qu’elles en deviennent monstrueuses.

Nous sommes tous capables du pire. Basculer dans le meurtre n’est qu’un état parmi d’autres de la condition humaine. On le savait depuis L’étranger. On y repense avec Babylone. On y pense en partant du principe que le meurtre est un fait acquis. Ce qui l’est moins, c’est la façon d’y réagir. Et vous, semble nous demander ce roman, si un ami venait à tuer, que feriez-vous pour l’aider ?

La réponse en dit long sur le rapport à l’humanité. L’humanité d’aujourd’hui. Où l’on tue pour… Pourquoi au juste ? À folie, folie et demie.

Isabelle Rossignol 
(03/10/16)    



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Lectures







Flammarion

(Août 2016)
300 pages - 20 €





Yasmina Reza
née à Paris en 1959, a publié une vingtaine de livres (théâtre, romans, récits, essais). Ses œuvres, adaptées dans plus de trente-cinq langues, ont reçu de nombreux prix.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia




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Conversations après
un enterrement


Le dieu du carnage