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François RIVIÈRE

Un garçon disparaît


En 1962  en Charente Maritime, à Yonge, près de Royan, Adrien, un gamin de presque treize ans, élève studieux du collège mixte mais privé et catholique fréquenté par la bourgeoisie locale et dirigée par Mlle Louise Le Prince et son assistante Thérèse Gourmel, va voir sa vie basculer.
Par une rencontre tout d'abord, celle d'Oscar, cet élève nouvellement arrivé de Paris qui ne ressemble à aucun autre, dont les tours de magie et le charisme éblouissent garçons et filles. Un ange blond fantasque, élevé par une mère aussi singulière et séduisante que son fils, qui exerce une fascination totale sur le petit provincial qui en tombe littéralement  amoureux.
Puis, par les étranges événements sur lesquels je ne dirai rien pour ne pas déflorer le cœur de l'affaire, qui lors de la préparation du spectacle de fin d'année mettra la bourgade en émoi. Ce qui ne frappera pas Adrien autant que la disparition de son ami à ce moment même et sans explication.
Jamais il ne se remettra complètement de cette disparition.

Cinquante ans plus tard, Julian Dransfield, un journaliste britannique installé pour la retraite dans la station balnéaire, découvre dans la presse locale de l'époque l'événement peu banal qui a eu lieu jadis dans cette institution disparue depuis. Par  curiosité, il se prend au jeu de l'investigation a posteriori, en tentant de recueillir les témoignages des survivants pour reconstituer le puzzle du passé. 
Adrien, lui, après être monté à Paris où il a découvert à la fois son homosexualité et sa vocation auprès d'un élégant et jeune libraire, nommé Beau, qu'il imagine comme une sorte de réincarnation d'Oscar, est revenu près de Royan où il exerce le métier de bouquiniste.
C'est l'amour des livres qui permettra aux deux hommes de faire connaissance et de sympathiser.
Malgré les souvenirs douloureux que l'enquête de l'Anglais réveille chez l'ancien élève, celui-ci acceptera donc de l'aider dans ses recherches pour élucider cette histoire marquée au fer rouge dans sa mémoire.

Si Mademoiselle Louise n'est plus là pour répondre aux questions, Thérèse, sa complice au quotidien, vit encore dans un manoir proche où, le hasard la conduit à faire appel au bouquiniste pour débarrasser son grenier des cartons de bouquins devenus encombrants. 
C'est à partir des confidences de la septuagénaire que, tant d'années après, la lumière sera faite sur le double mystère qui a pesé si lourd sur le cœur du gamin et la vie d'adulte d'Adrien.
 
Ce qui frappe d’abord dans ce roman provincial qui semble fait pour raviver nos souvenirs de lecture des 'Bibliothèque verte' édités en série lors des années soixante avec Enid Blyton comme vedette, c'est son titre (un renvoi explicite au célèbre titre d’Hitchcock, Une femme disparaît) et le classicisme à inspiration vieillotte de la facture et du style.
Ce récit d’inspiration autobiographique vaut surtout pour son intrigue très british (ce qui n'étonnera pas de la part de ce biographe d'Agatha Christie) et l'élégance décalée avec laquelle il crée son huis clos (l’institution privée catholique désuète et guindée) et y cultive le mystère.
Si l'ensemble est assez convenu, les personnages sont bien campés, avec un couple d'enseignantes à forte personnalité faisant face aux adolescents, dont Adrien, Monique et Oscar, dessinés avec plus de délicatesse. Et le drame est suffisamment bien mené avec ce qu'il faut de surprise dans le dénouement pour que le lecteur s'y laisse prendre.
C'est un exercice de style parfaitement maîtrisé que l'auteur nous offre dans ce roman. Le modèle du genre est scrupuleusement respecté, l'écriture est simple et fluide, la construction tout en miroir et en double fond et on retrouve bien ici le parfum nostalgique et suranné des romans féminins débarrassés par cartons entiers des greniers par les bouquinistes comme Adrien, lors des successions.   
Curieusement, si les livres font lien entre tous les personnages, il y est tout autant question de musique, avec une bande-son essentiellement composée de morceaux issus de la pop anglaise des années 60 et 70.

Mais l'originalité du roman est de parvenir à dépasser cet aspect formel pour affirmer, de par son inspiration autobiographique et les sujets périphériques qu'il aborde (amitiés particulières, amour du livre et de la littérature, homosexualité féminine et masculine, poids de la religion et de la morale dans la société des années soixante), une personnalité plus ambiguë et prendre en cela de l'épaisseur et du goût.
D'aucuns peuvent alors y voir un roman de mœurs avec le tableau d'une petite ville de province confite dans son jus à l'heure où la société se dirige vers une inexorable mutation, ou un roman d'apprentissage à travers le personnage d'Adrien, ou encore une fiction construite pour servir d'écrin à une réflexion sur l'homosexualité contextualisée à la société de province de ce milieu de siècle. 

Roman policier classique pour les amateurs du genre, curiosité surannée et décalée pour les nostalgiques ou fragment de l'histoire de l'homosexualité pour d'autres, il y a là, au coin du feu ou sous la couette, de quoi passer un bon moment.  

Dominique Baillon-Lalande 
(26/07/14)    



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Rivages

(Mars 2014)
256 pages - 20 €










François Rivière,
né à Saintes en 1949,  critique littéraire, éditeur, romancier, traducteur, biographe et  scénariste de bande dessinée, est l’auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages.



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