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Bertrand RUNTZ

N'oublie pas de mourir


Voir vieillir ses parents n’est jamais simple : « Toutefois, comme tout un chacun, j'ai mes jours avec et mes jours sans. Il arrive aussi que je me trouve à ce point affecté de voir mon père réduit à cet état que mes envies de sourire me paraissent d'un coup tragiquement contrefaites. Des arêtes en travers de la gorge. Dans ces moments-là, ma vie me semble tout sauf de la mie de pain. Même Théo et Chloé ne peuvent rien pour moi. L'envie furieuse me prend soudain d'aller voir ailleurs si j'y suis. Mais ailleurs, j'y suis déjà ! Dans un autre monde. Le sien. La cinquième dimension. Sans plus ni queue ni tête. Il me faut constamment rester vigilant. Ne jamais baisser la garde, sinon n'importe quoi peut arriver. »

Voir son père grignoté peu à peu par la maladie d’Alzheimer est une souffrance permanente vécue par le narrateur et par son père bien évidemment. Malgré la douleur de ces moments de vie, l’écriture de Bertrand Runtz, chargée d’humour, permet de dire le pire avec une certaine distance. Cela relativise la difficulté même si cela ne la nie pas. Comment réagir quand son père déchire la page d’une revue pour manger une aile de canard à l’orange ! « Je bondis. Mais il ne l’entendait pas du tout de cette oreille. Je dus sérieusement lutter. A la fin, je fus le plus fort. Je lui arrachai  le canard mâchouillé et gluant. Je le jetai dans la cheminée […] Et pour bien me démontrer l'ampleur de ma bêtise, il enfourna avec un air condescendant et méchamment satisfait un dernier petit navet de papier glacé et un pilon de canard qui m'avaient échappé, dissimulés entre son pouce et son index. Les bras m'en tombèrent. Cette fois, j'abandonnai. Après tout, qu'il s'étouffe avec ! »

 Théo, neuf ans, et Chloé, plus jeune, ses deux enfants, assistent aussi à l’évolution de leur grand-père et réagissent chacun à leur manière. Théo réalise bien la situation et il est parfois dégoûté par son grand-père alors que Chloé est plus insouciante. Elle aime encore monter sur les genoux de son grand-père même si parfois celui-ci peut lui faire peur.

Toutes les culpabilités émergent chez ce fils qui fait face comme il peut. Tout devient problématique : les visites chez le médecin, chez le dentiste, le moment des repas, les nuits, les fugues, la relation entre ses enfants et son père, l’hospitalisation, le placement en maison de retraite…

C’est un très beau texte d’amour  pour son père, un roman de désespoir aussi devant l’inexorable. Difficile aussi quand Théo demande à son père si lui aussi deviendra comme son grand-père. Qui ne ressent pas cette peur en voyant vieillir ses parents ? Mais cette épreuve va aussi rapprocher le narrateur et son fils avec qui il va bricoler comme il a pu le faire lui-même avec son père.  

Il n’est pas facile d’aborder ce sujet qui nous concerne tous sans tomber dans le drame et le tragique. Voilà ce qu’a formidablement réussi Bertrand Runtz qui nous fait sourire même rire parfois. L’humour devient un moyen de défense, une résistance dans ce roman empli d’émotions qui se lit avec beaucoup de tendresse.

Brigitte Aubonnet 
(17/01/15)    



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Éditions du Jasmin

232 pages - 19,90 €






Bertrand Runtz,
né en 1963, photographe,
a publié trois romans et deux recueils de nouvelles.


Bibliographie
sur le site de l'auteur :
http://bertrandruntz.com/




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