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Antoine SÉNANQUE
Étienne regrette
Antoine Sénanque aime raconter des histoires où l'amitié
virile flirte avec la tendresse, où le malaise de la dépression
rebondit sur l'absurdité joyeuse du monde, où les hommes respirent
difficilement, mais profondément. Dans Salut Marie !, son précédent
roman, un type refusait de s'intéresser à la vierge Marie qui n'apparaissait
que pour lui. Dans Etienne regrette, le roman qui paraît en cette rentrée
de janvier, Etienne Fusain, prof de philo, se retrouve lui aussi face à
une apparition incompréhensible : sur son bureau, dans sa salle de cours,
il découvre un graffiti gravé au stylo rouge. « Fusain est
un con. » Ce n'est pas tant l'assertion qui le bouleverse, mais le point
final, appuyé comme une vérité indiscutable. Fusain est un
con. Point. Rien à dire d'autre. Tout est dit. Etienne Fusain, 54 ans,
marié à Viviane, père de Mathilde, enseignant et vivant à
Saint-Denis, profite, d'une certaine façon, de ce choc émotionnel.
Il s'absente du lycée et s'en va vivre quelque temps avec son ami Larbeau,
médecin légiste. Sa vie ne sera plus jamais la même.
Dans Etienne regrette, c'est l'idée de la mort qui est mise en jeu. Avec
tranquillité et humour. Denis Larbeau, par exemple, qui tient à
jour de macabres comptes : il consigne les décès de ses camarades
de classe, se tient au courant de leur état de santé, envisage leurs
maladies probables. Il passe sa vie à fouiller et scier les cadavres, il
a choisi cette voie professionnelle pour pouvoir découvrir, un jour, une
étincelle dans la chair morte, quelque chose qui lui dirait, lui ferait
comprendre, que la mort ne gagne pas toujours. Larbeau est un jouisseur tendre.
Il fréquente les putes, il a aimé un homme, il entretient une relation
suivie avec une amie d'enfance, Lily. C'est auprès de Lily qu'Etienne va
se sentir revivre.
Le roman suit son cours au long de péripéties graduellement improbables
et réjouissantes. On se fait balayer par une vague incompressible, au bout
d'une jetée, et l'on ne se noie pas. On vole la chaise de Vincent à
Auvers. On croise un ancien du Vietnam reconverti dans le proxénétisme
et le blanchiment d'argent sale. On coupe à la va-vite, à la morgue,
une jambe sur un cadavre non identifié. On consulte une télépathe.
Tout s'imbrique sur fond de sensualité retrouvée auprès de
Lily, de voyage à Capri, de pigeons convoqués dans un pavillon de
banlieue, de jeûne mortifère et salutaire à la fois.
Fusain, Larbeau et Lily forment un joli trio, entre bande-dessinée tendance
Pieds-nickelés et philosophie de vie version stoïque. Le roman est
léger et grave à la fois, placé sous le signe redessiné
d'Épictète :
« – Les types comme toi me font peur. Les stoïques. Ce sont des monstres,
ils acceptent tout, les calamités comme les grâces. Ils ne font pas
la différence.
N'aie pas peur, Denis.
J'ai pas peur mais quand je t'ai recueilli, tu n'étais qu'un petit
prof de philo dépressif parce qu'un élève t'avait traité
de con. Et là, tu la joues héros de la Résistance avant la
Libération, il y a quand même des nuances. C'est pas conseillé,
ça, dans le manuel d'Epictèque.
Épictète.
Tu fais chier, Etienne.
J'ai simplement dit que, selon Épictète, il y a des choses
qui dépendent de nous et d'autres qui n'en dépendent pas et dont
il ne faut pas se soucier.
Par exemple ?
Des détails, comme nos décès. » (p.188)
Christine Bini
(16/01/14)
Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/
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Sommaire
Lectures
Grasset
(Janvier 2014)
240 pages - 18 €
Antoine Sénanque,
né en 1959, neurologue,
a déjà publié six romans.
Visiter le site de l'auteur :
www.antoine-senanque.com
Lire sur le blog de
Christine Bini
un article concernant :
Antoine Sénanque
Salut Marie !
(Grasset, Mai 2012)
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