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Guillaume SIAUDEAU


La dictature des ronces


C'est l'été. Alors qu'il est scotché à son canapé avec lequel son postérieur avait « conclu un marché », « qu'il fallait désormais faire des pieds et des mains pour les séparer », le narrateur est sollicité par un ami de longue date, Henri, qui s'est retiré du tumulte du monde sur l'île de Sainte-Pélagie.
Il lui confie la garde de sa modeste maison plantée sur ce petit bout de terre perdu au milieu de la mer, le chargeant de l'entretien de son jardin et de son chien pour la durée de son voyage. Une aubaine pour le trentenaire qui, ainsi cloîtré chez lui depuis une déception sentimentale, commençait à trouver le temps long.

Une fois sur place, l'homme, entreprend donc méticuleusement de débarrasser le potager des ronces qui l'ont envahi et s'astreint à un arrosage quotidien. Le chien, qui présente la singularité de n'avoir plus que trois pattes, ce qui le ralentit lors de leurs promenades mais ne semble pas le gêner outre mesure, est un compagnon assez tranquille.
Le héros prend vite ses marques, observe le paysage en arpentant ce nouveau territoire et tombe sous le charme de cet ailleurs hors du temps, comme son ami avant lui.
« Je me sentais ici au bon endroit au bon moment. Là où les rêves ont encore une chance de se faire une place. Une seule de ces mouettes valait tous les pigeons de la grand-place, tous leurs becs crochus et toutes leurs frites mâchouillées. Un seul centimètre carré d'horizon valait bien tous les immeubles alignés, prêts à se faire fusiller par mille regards sévères. »

Les habitants (mais un étrange nain l'avait prévenu avant qu'il embarque sur le seul bateau faisant la liaison chaque jour) ont des comportements loufoques ou des occupations atypiques, mais il règne ici une sérénité contagieuse.
Qu'importe si la bibliothèque locale ne propose que des livres lacrymogènes et offre les mouchoirs qui vont avec, si des voisins courtiers en encyclopédies choisissent la nuit pour leur travail considérant (par ailleurs fort justement) que chacun est chez soi à trois heures du matin, si un gamin aveugle inconsolable vient guetter sans trêve du haut de la falaise le retour de son père perdu en mer,  où si les banderoles traînées par l'avion qui survole régulièrement l'île trouvent toujours un écho ou une adéquation surprenante avec ses pensées ou ses activités, celui qui avait accosté en pleine dépression se sent là en harmonie avec son environnement.
Même la brutale et courte chute de neige à laquelle il assiste en plein été, ne parvient pas à le troubler plus que cela.
Et puis tout le monde n'a pas l'occasion d'être initié à la cueillette des étoiles filantes...

 Lorsque son ami revient, notre narrateur ragaillardi boucle son bagage à regret prenant soin, comme un habitant de l'île le lui a conseillé, de « tapisser le fond de ses chaussures de sable »pour ne pas quitter Sainte Pélagie complètement.  « Désormais, j'irai au boulot en traversant la plage, aux enterrements en traversant la plage, à mes rencarts en traversant la plage. »
Et pourquoi l'étrange avion étrangement complice ne passerait-il pas justement à cet instant, pour lui signifier que « ce n'est qu'un au revoir » ? Le vieux voisin sympathique, lors d'une conversation sur les pouvoirs irrésistibles d’envoûtement de l’île, ne lui a-t-il pas incidemment révélé comment il avait forcé le destin pour récupérer plus vite la maison dans l'île que son ami lui destinait en héritage...

Ce deuxième roman de l'écrivain partage avec le premier la brièveté, l'humour et la sensibilité, et ce nouveau personnage-narrateur à la première personne ressemble comme un frère au précédent : un trentenaire bloqué au bord du monde, englué dans la solitude et les questions existentielles, inapte à la vie que lui propose la société. Mais c'est ici à sa renaissance qu'on assiste, une fois que la magie des lieux lui a permis de se nettoyer la tête de ses angoisses comme il l'a fait pour le jardin et ses ronces. 
Cette fois, affirmant son univers, l'auteur abandonne toute attache avec le réel pour basculer franchement dans un non-sens élégant et subtil, plein de tendresse, poétique en diable et empreint d'une fantaisie drolatique à laquelle il est difficile de résister. 
Le séjour à ses côtés dans cette île où la nature et le rêve reprennent leurs droits, où l'homme redécouvre une certaine liberté voire retrouve un sens à l'existence derrière ce qui ressemble à de la folie pure,  est une belle escapade.

Un divertissement de haute volée, en parfait équilibre entre légèreté et réflexion, à recommander de toute urgence comme antidote à la morosité ambiante.

Dominique Baillon-Lalande 
(12/03/15)    



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Lectures









Alma Éditeur

(Mars 2015)
184 pages – 16 €




Pocket

(Août 2016)
144 pages – 5,40 €







Guillaume Siaudeau,
né en 1980, a déjà publié de nombreux textes. La dictature des ronces est son deuxième roman.



Bibliographie complète
sur le blog de l'auteur :
La méduse et le renard








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le premier roman
de Guillaume Siaudeau :
Tartes aux pommes
et fin du monde