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C’est une histoire bouleversante que ce roman nous propose. Racontée par son héroïne, Noa P. Singleton. Et c’est ainsi que l’auteure, Elizabeth L. Silver, nous démontre, preuve à l’appui, qu’un thriller, ou polar ou autre roman noir, est tout aussi légitime et efficace quand il s’agit de dévoiler certains aspects sombres de notre société afin d’en tirer réflexion, que toute autre œuvre littéraire. « Quand on essaie de trouver l’explication d’une loi, d’une découverte scientifique, d’une rumeur, et qu’on se casse les dents dessus, alors on tranche dans le vif. On ôte chirurgicalement tout ce qui est potentiellement cancéreux et on cautérise la société tout autour pour s’assurer que la véritable réponse ne soit jamais connue. » La narratrice Noa P. Singleton, donc, se présente ainsi : « J’ai trente-cinq ans et je vis au pénitencier pour femmes de Pennsylvanie. […] Le procès qui m’a conduite jusqu’à vous n’a duré que cinq jours, mais le jury en a passé quatre autres à délibérer. Il a suffi de tirer au sort quelques jurés pour trouver ces douze individus […]. Leurs noms sont maintenant gravés dans ma mémoire. » Le ton semble donné. Après cette sorte de prologue, Noa continue : « Tout a commencé six mois avant le Jour J quand Oliver Stansted et Marlène Dixon vinrent au pénitencier. » Marlène Dixon est la mère de Sarah, la jeune femme victime de Noa. Oliver Stansted veut donc rechercher les points qui auraient été négligés, voire abandonnés, par la défense lors du procès, mais surtout essayer de comprendre le silence de Noa qui n’a jamais voulu expliquer son geste. En espérant qu’une nouvelle enquête puisse trouver des éléments susceptibles de provoquer une révision du procès et donc de la sentence. Mais surtout, il voudrait savoir ce qui s’est réellement passé. Noa sans être convaincue de la sincérité de Marlène Dixon – elle sait que le témoignage de cette dernière a joué un rôle déterminant dans sa condamnation à mort – va cependant accepter les visites du jeune avocat. Bien qu’elle semble toujours résignée. De son côté, elle écrit ses souvenirs, tient une sorte de journal. Sa version des enchaînements, comme ses propres interrogations sur les évènements passés et sur sa situation actuelle. Au fil de son récit, et des retours en arrière, une jeune femme intelligente apparaît. En évoquant une enfance et une adolescence difficiles et peu souvent heureuses, mais qu’elle présente avec un certain détachement. « Trois jours après la remise des diplômes, je reçus une lettre. De mon père. Pas de l’un des treize ou quatorze hommes qui s’étaient succédé dans le lit de ma mère tout au long des années 80. Ni de l’Infirmier Numéro Un (ou Deux ?). Non, je parle du donneur de sperme, celui qu’elle avait toujours surnommé "le coup d’un soir", son ex. Mon Vrai Père. » Pouvons-nous alors supposer que Noa cherche, dans cette forme d’introspection, une façon de retrouver une certaine combativité ? Un espoir ? Que pourrait-elle repérer, avec cette nouvelle énergie, qu’elle ne sache déjà ? Et un effet pervers ne serait-il pas envisageable ? Au cours de ces six mois, Marlène Dixon, elle aussi, écrit. Des lettres à sa fille décédée, et qui révèleront, parfois seulement entre les lignes, motivations et pensées intimes. Tout en posant çà et là d’éventuels indices. Ainsi, de sa plume affutée, Elizabeth L. Silver nous amène lentement vers tous les facteurs qui se sont conjugués et qu’elle nous laisse appréhender tout en nous déroutant à l’occasion. Car si nous pensions avoir compris la psychologie des protagonistes – cette articulation entre les réflexions de Noa et nos propres interprétations ou analyses – nous pourrions alors être décontenancés et voir s’échapper quelque pseudo certitude ! Mais pour arriver à nous émouvoir à ce point, nous faire réfléchir autant, nous distraire en nous faisant sourire de nombreuses et jouissives fois, c’est bien d’un talent puissant, et original, dont il est question ! Auquel il faut ajouter, tout en la soulignant, une écriture bien trempée qui sait ouvrir de jolies fenêtres de style, pour mieux colorer ou nuancer l’amertume des thèmes. On sort de ce roman ému, surpris, et avec cette impression d’avoir partagé et compris quelque chose d’important avec l’héroïne... En tout cas avec l’auteure… Alors qu’elle en soit remerciée… Anne-Marie Boisson (09/05/15) |
Sommaire Noir & polar Gallimard Série Noire (Février 2015) 368 pages - 22,50 € Traduit de l'anglais (États-Unis) par Christophe MERCIER
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