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Johanna SINISALO


Le sang des fleurs


"Pour un kilo de miel, il faut effectuer sept millions de visites à des fleurs, ce qui équivaut, pour l'abeille, à quatre fois le tour du monde. Il y a malgré tout plus de véritables richesses dans un kilo de miel que dans toutes les monnaies du monde…"

Orvo est un misanthrope finlandais d'une cinquantaine d'années qui, quand il ne travaille pas pour son entreprise de Pompes funèbres – Le Port de Partance : "Nous sommes les nochers des Enfers. Nous ne sommes pas la Faucheuse !" –, se transforme en apiculteur amateur. On découvre très vite qu'il déteste son père, un vieillard robuste et cynique, qui fait fortune dans l'élevage industriel de bovins, qu'il est perturbé par la sexualité débordante de son ex-femme qui revient d'Australie pour l'enterrement de leur fils, Eero, militant écolo-terroriste, et que le martyre qu'il endure à cause de la mort récente de ce dernier se mêle à l'angoisse de voir ses ruches désertées. Nous sommes en 2025 et de graves problèmes agricoles dus à la disparition des abeilles provoquent de violentes émeutes de la faim en Amérique et en Chine.

Les chapitres alternent le quotidien bucolique mais endeuillé d'Orvo et ses inquiétudes sur le mystérieux effondrement des colonies d'abeilles qui depuis le début des années 2000 se répand dans le monde mais avait jusque-là épargné ses ruches et, dans une autre typographie, en italique, le blog radical d'Eero qui d'un côté, dénonce les tortures infligées aux animaux que l'on mange et l'impact ultra-nocif sur l'environnement de leur élevage intensif, et, de l'autre, explique l'écosystème et, par exemple, le rôle primordial des abeilles. On y lit aussi les commentaires des internautes, des sympathisants aux plus haineux, et des appels à des actions.

Mélangeant subtilement les souvenirs comme dans une saga familiale, les indices sur la mort d'Eero comme dans un polar, les renseignements sur l'ampleur que prend la catastrophe écologique comme dans un roman d'anticipation, les violences que nous faisons subir aux animaux que nous mangeons comme dans un rapport scientifique et l'étrange découverte d'un monde parallèle où Orvo, tel Orphée, espère retrouver son fils comme dans un conte, Le sang des fleurs gicle de la source de l'écriture : la mythologie. Dans la mythologie grecque, Aristée n'a-t-il pas enseigné aux hommes à élever les abeilles dont il reproduit l'essaim à partir de la chair en décomposition de bœufs immolés ? N'est-il pas non plus le responsable de la mort d'Eurydice ?

Le lecteur, savamment malmené par une narration distante, élégamment ironique et aux ramifications touffues d'un thriller, ne sort pas indemne de cette étrange parabole écolo-politico-mythologique sur la mort programmée de notre monde… Il peut en tout cas faire du Sang des fleurs, son miel, nourriture divine et promesse d'immortalité !

Sylvie Lansade 
(09/07/13)    



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Lectures









Éditions Actes Sud

(Mai 2013)
288 pages - 22,50 €


Traduit du finnois par
Anne Colin du Terrail




Johanna Sinisalo,
née en 1958, écrit des romans, des nouvelles, des livres pour la jeunesse, des pièces radiophoniques ou télévisuelles, ainsi que des bandes dessinées.
Le sang des fleurs
est son troisième roman chez Actes Sud.