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Camille de TOLEDO
Oublier, trahir, puis disparaître
Le train. Moyen de locomotion littéraire par excellence ou par antonomase
, propice à l'introspection et à la conversation, à
la rencontre et au crime, à la fuite et au retour. Au passage, aussi, bien
sûr, celui des frontières et du temps. Le train qui fuit, que l'on
prend à la volée ou que l'on rate, que l'on regarde passer en rêvant
d'ailleurs. Orient-Express tendance Agathe Christie, ou Traversée des Monts
Noirs à la Rezvani, pour ne citer que les deux souvenirs littéraires
surgis à la seule évocation du mot « train ».
D'ailleurs, Encres Vagabondes se penche, en ce moment-même, sur la
question. Et publiera un dossier sur le sujet.
Le train de Camille de Toledo file d'un siècle à l'autre. Du
XXe au XXIe. Que traverse-t-il ? Un espace européen pétri d'Histoire,
autant dire de guerres et de meurtrissures, d'espoirs déçus et
de souvenirs en capilotade. Les passagers ? Un père, un fils, une vieille
femme grand-mère éternelle, Baba Yaga russe, mais emblématique
de toutes les douleurs des peuples , un Semeur qui vide les valises des
voyageurs terrible image que ces valises éventrées, que
ces habits jetés par les fenêtres comme autant de corps habités
réduits à néant. Un espace européen géographique,
aussi, qui met à nu un Est continental exsangue, incompréhensible
parfois : la statue de Bruce Lee dans la ville de Mostar. Et un espace européen
mental, mal ajusté, à déchiffrer ou à inventer.
Le fils, Elias, petit prophète, invente sa langue d'avenir sur des ruines
yiddish.
La marche bancale du monde, voilà ce qui meut Camille de Toledo. On se
souvient qu'il est l'auteur du livret et des vidéos de l'opéra
La Chute de Fukuyama, dont le thème central est le 11 septembre
2001. Dans Oublier, trahir, puis disparaître, il utilise une forme
hybride qui mêle le vers libre et le récit conventionnel. La réflexion
s'articule autour du fait littéraire/historique et de sa possible/impossible
transmission. Pour décrire l'Europe immédiate, ou immédiatement
passée celle que nous habitons et que nous renvoient les actualités,
sans nous l'expliquer vraiment, celle que nos journaux télévisés
nous donnent, bruits de bottes en Ukraine en ce moment-même les
options sont, somme toute, assez limitées : la fresque narrative, la
poésie, la philosophie politique. Camille de Toledo choisit une voix/voie
littéraire déviante, surprenante. Quelque chose qui oscillerait
entre le conte traditionnel et le mythe en élaboration. Voilà
un vrai travail d'écrivain, une vraie recherche sensible. Le lecteur,
tout d'abord désarçonné, est embarqué dans un voyage
qui l'emporte - dans un souffle - aux rives d'une Histoire dont il est l'acteur
ignorant et le spectateur passif ; et dans un texte qui le ramène à
la manière de rendre compte de cette Histoire. Les en-têtes
des chapitres entremêlent la forme et le fond : « Nous avions
beau savoir », « Je ne me souvenais pas du chemin »,
« Je marche dans tes pas ». Comme des coupures, des intermèdes
entremeses dirait-on en espagnol des récits tranchent
la prose poétique, ou le roman en vers libres. Ces récits, tous,
appuient sur le ressort de l'écrivain, sur sa force et son impuissance.
Pour l'enfant Elias, il s'agit de « construire un monde ».
Dernier volet d'une trilogie européenne venant après Le
Hêtre et le Bouleau et Vies pøtentielles Oublier,
trahir, puis disparaître, par son titre infinitif, marque l'impuissance
des modes et des voix. Passif ? Actif ? Conditionnel mais à quelle
condition ? ignoré. Subjonctif le mode de l'irréel
évacué. Rarement, dans la littérature de langue
française, la recherche formelle aura tenté de rendre compte à
ce point du propos. L'Histoire européenne immédiate et héritée,
rendue par une écriture aboutie, refusant de trancher entre la poésie
et la prose. Camille de Toledo est un écrivain déton(n)ant.
*
Citations :
« Les écrivains, je te l'ai dit, Elias, arrivent / toujours
après. »
« Un corps qui a faim est plus à même de ressentir /
la présence de Dieu. Je ne parle pas de la misère, / ni d'une
autre forme de faim ; / celles-là finissent par rendre fou ».
« Ce jour-là, Elias, je t'ai suivi et j'ai pensé :
/ Je marche derrière mon maître. / Tu étais ma sagesse.
/ C'est-à-dire, autrement, une présence / un corps engagé,
allant sans arrière-monde / vers l'avenir ».
Christine Bini
(11/03/14)
Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/
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Sommaire
Lectures
Seuil
(Janvier 2014)
224 pages - 17 €
Camille de Toledo,
né à Lyon en 1976, est écrivain, vidéaste, musicien
et photographe.
Bio-bibliographie
sur
Wikipédia
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