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Gilles VERDET

Fausses routes



On a chroniqué ici un roman policier de Gilles Verdet (Voici le temps des assassins) et voilà maintenant le temps des nouvelles. Bien que n’appartenant pas au genre polar, on y meurt tout de même beaucoup et de manière plutôt violente. Mais, tout autant que l’écriture ou les intrigues, c’est la construction du recueil qui est remarquable. Fausses routes regroupe cinq textes d’une quarantaine de pages dont le troisième qui est mathématiquement celui du milieu se trouve aussi être le centre du recueil. On y croise, dans un bistrot parisien, plusieurs personnages des autres nouvelles. On peut ainsi savoir ce qui a suivi la fin de la première ou ce qui a précédé le début de la deuxième, et on fait connaissance avec les personnages des deux suivantes. C’est finement bâti, comme un "roman par nouvelles"...

La première, Tout bien réfléchi, est construite sur un quiproquo. Le narrateur, François, en allant voir sa maîtresse, Mathilde, se trompe de porte et se retrouve sous l’emprise d’une prostituée dominatrice. Comme il est toujours hésitant et jamais sûr de ses décisions, cette situation va très bien lui convenir, d’autant plus qu’elle va lui éviter des ennuis qu’il n’avait pas imaginés... Nous commençons à visiter la galerie de portraits créée par l’auteur avec, notamment, François, juge aux affaires sociales, et Bernardette, la dominatrice qui est aussi prof de philo (et doute d’avoir assez d’autorité pour enseigner, ce qui est un joli paradoxe).

Dans la deuxième, Contrechamp, une chorale amateur se réunit tous les dimanches pour travailler le chant et dîner ensemble. Un groupe sympathique qui s’est choisi une chef de chœur professionnelle, Emilia, gentille et compétente. On découvre peu à peu tous les participants, leurs métiers, leurs raisons d’être là, les relations entre eux...
Mais ce jour-là un petit incident perturbe la répétition. Antoine ne parvient pas à distinguer le do dièse du ré. Il s’entête, se fâche et quitte la salle en claquant la porte.
À partir de là, tout va déraper et les tempéraments vont se révéler...

Dans Prises de vues, la nouvelle centrale, le narrateur est un figurant de cinéma qui s’installe à la terrasse d’un bistrot parce qu’un rendez-vous s’est décalé et qu’il a deux heures à occuper. Il a l’habitude de ne pas se faire remarquer, véritable déformation professionnelle, il est là mais on ne le voit pas, l’attention est captée par les autres, les acteurs de la vie, qui bougent et parlent quand lui reste seul dans son coin et  ne prononce jamais une parole.
« C’est facile pour moi. C’est devenu une seconde nature. Je m’assois et je me fonds. Je m’intègre. C’est comme si je disparaissais. Où que je sois. Quoi qu’il se passe. C’est un paradoxe que j’ai fini par assimiler. Une bizarrerie de la vie. Je suis là pour qu’on ne me voie pas. Ça dure comme ça depuis longtemps. Des années. C’est même ça qui me fait vivre. »
Il ne parle pas mais il observe les clients qui occupent la terrasse du café et grâce à lui nous allons retrouver François (le juge de la première nouvelle) attablé avec Mathilde. La relation n’est plus au beau fixe.
Antoine, le chanteur mécontent de la deuxième nouvelle, discute avec Édouard et on comprend mieux ce qui a motivé l’incident qui a déstabilisé la répétition de la chorale.
On découvre aussi Grégoire, qui se fait appeler Grègue pour des affaires qu’il traite avec son téléphone portable (héros de la nouvelle suivante) et le fleuriste ambulant qu’on retrouvera dans une position bien inconfortable dans la dernière.
Le narrateur aime être discret mais il ne résiste pas à l’idée d’intervenir dans le déroulement des événements. Son intervention ne sera pas sans conséquences pour les uns et les autres et même pour lui-même...

Dans Commerces équitables, nous retrouvons  Grégoire-Grègue qui gère deux commerces parallèles, la brocante (dans sa boutique) et la drogue (depuis le bistrot). Un accident de moto a bouleversé son organisation habituelle et vouloir rattraper son retard réserve parfois bien des surprises...
Jeanne, sa femme (qui appartient à la chorale de la 2e nouvelle) a organisé un spectacle dans leur appartement où elle a invité quelques amis pour voir et entendre des femmes iraniennes exilées accompagnées par leur musicien. On en saura plus sur ces artistes dans la nouvelle suivante.
Ici, c’est Grégoire qui est au centre de l’histoire, jusqu’à la dernière ligne...

Entre nous soit dit est construite autour du vendeur de roses ambulant qui cherchait à placer ses fleurs sur la terrasse du café de la nouvelle centrale. Renversé par un camion, il est coincé sous le poids lourd, à plat ventre, comme un boxeur KO sur un ring et nous décrit ce qu’il voit (les chaussures, les chaussettes, un chien, un rat...) et les visages de ceux qui se penchent pour l’encourager en attendant les secours.
Nous partageons ses pensées et apprenons comment il est arrivé à Paris après une explosion qui l’a rendu sourd ; pourquoi il s’est installé avec des Pakistanais alors qu’il vient d’un pays du nord ; comment il a rencontré Tahir, le musicien afghan de la précédente nouvelle, qui lui confie ses fleurs quand il est trop occupé pour faire la tournée des terrasses...

En refermant le livre, nous avons l’impression de quitter toute une bande de personnages que nous commencions à bien connaître en les retrouvant ici ou là dans le recueil. Nous avons partagé des bribes de leurs existences, leurs rêves, leurs pensées, les surprises que leur réservait la vie et dont ils ne sortent pas tous indemnes. Ces nouvelles forment un ensemble riche et vivant qui a obtenu le Grand Prix de la Nouvelle de la Société des Gens de Lettres et c’est bien mérité ! Une récompense pour l’auteur, bien sûr, mais aussi pour l’éditeur qui prend le risque de publier plusieurs recueils par an et dont le catalogue ne cesse de s’enrichir. Un auteur à suivre, un éditeur à encourager, n’hésitez plus !

Serge Cabrol 
(17/06/16)    



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Lectures









Rhubarbe

216 pages - 13 €

Grand Prix SGDL
de la Nouvelle
2016












Gilles Verdet,

né à Paris en 1952, est nouvelliste et romancier


Bio-bibliographie sur
Wikipédia















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