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Les romans de Sarah Waters ne se cantonnent pas à la sphère lesbienne, même si cet écrivain britannique née en 1966 revendique ouvertement, dans sa vie et dans son œuvre, la sexualité des femmes entre elles. Du bout des doigts met en scène, il est vrai, deux jeunes filles que tout oppose, et que l’attirance sensuelle va rapprocher. Mais plus que le lesbianisme, qui peut apparaître ici comme un motif de base, c’est bien une forme de lutte des classes, de revendication sociale, de désir de dépasser sa condition sociologique qui est au cœur du roman. Nous sommes à Londres en 1862, sur les pas de Dickens, dans lesquels Sarah Waters met ses propres pas. Sue Trinder, orpheline pauvre des mauvais quartiers, se voit soudain propulsée auprès d’une autre orpheline, de haute condition. Cette dernière, Maud Lilly, vit dans un manoir très victorien, auprès de son oncle. Les livres tiennent une belle place prépondérante dans l’intrigue : l’oncle de la damoiselle est collectionneur de textes érotiques. L’intrigue est basée sur la dissimulation et la captation d’héritage. Mais l’amour entre filles pourrait bien déranger les plans ourdis par le Gentleman, truchement entre les deux mondes, celui de l’oligarchie et celui de la cour des miracles. Pourquoi, et comment, écrire un roman à la Dickens à l’aube du XXIe siècle ? Le retour à un Londres littérairement et sociologiquement circonscrit permet une variation moderne, voire moderniste, autour de l’assujettissement des femmes : leur condition, leur soumission, leur révolte avérée ou avortée. Sarah Waters se place résolument du côté féminin, sans jamais occulter que les femmes entre elles ne se font guère de cadeaux. La misère du lumpen telle qu’on la trouve dans la littérature, de la picaresque du siècle d’or espagnol à Eugène Sue chez nous, est un motif romanesque inépuisable. De Rinconete y Cortadillo de Cervantes aux Mystères de Paris, de Wilkie Collins à David Copperfield, c’est bien le constat social, et sa revendication, qui mènent le bal. Sarah Waters ne s’est pas trompée d’époque. Sa sensibilité s’exprime au travers des deux jeunes filles, auxquelles elle donne, tour à tour, la parole. On pourrait s’étonner que Sue, extirpée des bas-fonds, et Maud, élevée dans les hautes classes, aient un vocabulaire et des attitudes peu différentes. Ce faux mystère est une des clés du roman. L’expression « l’une ET l’autre » est vouée à la substitution : « l’une EST l’autre ». L’intrigue romanesque se noue ici. L’intrigue, le piège, la machination. Comme tout roman contemporain se référant à – imitant – des formes romanesques codées qui n’ont plus cours, ou presque plus, Du bout des doigts requiert l’adhésion immédiate du lecteur. Il suffit d’accepter de se laisser embarquer dans une histoire au long cours, faite de chausse-trappes et de retournements, d’invraisemblances de façade et de vérité psychologique. La littérature érotique est la trame du roman, mais les destins des deux jeunes filles, entremêlés, entrelacés, sont un fil conducteur autrement attachant. * Extrait Christine Bini (15/04/15) Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/ |
Sommaire Lectures 10/18 (Mars 2015) 480 pages - 8,80 € (Fingersmith) Traduit de l’anglais par Erika ABRAMS La version française de ce roman a d'abord paru chez Denoël en 2003
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