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En plein jour, sur la place Herral du quartier populaire du Bajo, Julia Montenegro, 31 ans, une arme à la main attend placidement sa victime en guettant la sortie du bar. Mais très étrangement quand sa cible apparaît, au lieu de tirer sur l'homme qui s'est arrêté net à son interpellation et a tranquillement repris sa marche après un interminable et mystérieux échange de regards, la femme a tourné le canon contre elle-même et appuyé sur la gâchette. Cet acte – « Tout au plus un épisode confus. Sans danger pour les tiers » comme l'annonce la police à la presse – est vite classé. Trop au goût du journaliste Guyot qui, grâce à sa complicité avec le commissaire, était sur place dès la découverte du drame pour faire sa chronique. Il va dès lors s'y intéresser de plus près, cherchant à comprendre pourquoi Julia a mis fin à ses jours plutôt que de tuer celui qu'elle visait initialement. Ses contacts à la police qui lui fournissent ordinairement bien volontiers des informations de première main semblent cette fois se dérober et les plus proches lui conseillent amicalement de laisser tomber : le suicide est avéré et la clôture de l'affaire, normale dans un tel cas, a été expressément demandée par la hiérarchie. Guyot cherche, fouille, avance en tâtonnant au fil des chapitres, à partir de ces notes, d'archives, de coupures de presse, d'une page de journal déchirée, d'une photo, d'un mot en caractères gras dans un avis de décès, et malgré les signaux d'alarme que tous lui envoient, malgré les menaces, les tabassages en règle et les victimes collatérales autour de lui, malgré les morts qui s'accumulent, en aveugle, il s'entête.
L’intrigue se développe en compagnonnage de Guyot qui, au fil de paroles de personnages masqués derrière un patronyme ou d'anodins coups de téléphone, bâtit, pour le symbole d'une jeunesse mutilée par l'Histoire qu'est Julia, un tombeau. Et dans cette Argentine moderne traumatisée par les années noires de la dictature, étouffée sous une chape de silence qui suinte le secret et la peur, face à ceux qui tentant de faire disparaître les preuves de leur passé criminel continuent de tirer les ficelles, c'est à tous ces « enfants volés » sous Videla pour être formés selon les modalités du régime ou pour faire pression sur les familles, à ces vies fracassées, qu'à travers le sort de la jeune femme Eugenia Almeida rend hommage. Rien n’est effacé, oublié, pardonné et les questions de la filiation et de la transmission sont à travers Julia, mais aussi de l'histoire personnelle de quelques autres, au centre de ce texte énigmatique et puissant. Au fur et à mesure que l’enquête avance les cadavres s’additionnent, l’atmosphère à la violence glaçante s'épaissit et le lecteur s'accroche aux basques de Guyot avec une extraordinaire tension. Comme le journaliste il se perd dans ce labyrinthe où rien n’est explicitement formulé, où les informations s’égrènent au compte-gouttes, où tout peut arriver ou presque dans cette atmosphère de violence sourde et se trouve happé et comme magnétisé par cette quête haletante de la vérité. C'est avec un style dense et concis, avec des descriptions de lieux très visuelles, des dialogues secs, une alternance de points de vue, des chapitres courts et des tableaux qui changent en permanence, que l'écrivain nous fait ressentir, plus qu'elle nous la livre, la psychologie des personnages, qu'elle incarne la peur de tous et crée la tension. Un polar intense, sombre et oppressant comme l'atmosphère qui écrasa l'Argentine pendant les années de dictature du général Videla, comme celle de cette démocratie qui lui succède avec les anciens de la junte présents dans l'ombre qui tiennent encore les rênes de la police, du pouvoir et des médias, dont on sort pantelant et broyé. Magnifique et glaçant, à lire absolument et à recommander. Dominique Baillon-Lalande (17/07/17) |
Sommaire Lectures Métailié 256 pages - 18 € Traduit de l’Espagnol (Argentine) par François Gaudry
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