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Angélique VILLENEUVE


Les fleurs d’hiver


« Il n’a tué ni sauvé personne, son mari, il est encore couvert de boue, de poux, de froid, de bruit, de colique et de peur. La guerre a creusé et creuse encore en lui. Il est un creux immense, et Jeanne ignore s’il est possible de l’emplir. Si à eux deux ils en seront capables. Elle pense au grand gâchis des hommes. »

La guerre de 14, un puits sans fond d’horreurs d’où sort, cette fois, le point de vue d’une jeune ouvrière qui essaie de survivre, seule pendant quatre ans, avec son enfant âgée seulement de quelques mois le jour de la mobilisation.  Jeanne espère chaque instant le retour de son homme. Si Jeanne  ne meurt pas de froid, de faim, de maladie, ça n’est dû qu’à sa vaillance, plus de onze heures de travail journalier qui débordent forcément sur ses nuits. Dans son minuscule appartement mal isolé, Jeanne, l’angoisse au ventre, fabrique des fleurs artificielles : des éclats de couleurs et de luxe dans la grisaille épuisante du quotidien.

On est en 18, sa toute petite fille va à la maternelle ou joue en silence avec ses trésors, quelques chutes de pétales inutilisables ou fleurs ratées. Avec une voisine, Sidonie, qui travaille, elle aussi, à domicile, comme lingère, elles s’entraident pour les livraisons, mais  Sidonie va devenir folle en apprenant que son dernier enfant, le seul survivant de la fratrie, ne rentrera jamais du front.

Son homme, à elle, Jeanne ne l’attend plus. Il est revenu. Mais est-il vraiment là ? Elle ne reconnaît pas son Toussaint dans cet homme silencieux, fantomatique. Quand il a été soigné au Val-de-Grâce,  elle a  retourné sans cesse dans sa tête le mot laconique qu’il lui a envoyé, si différent du courrier maladroit mais plein d’amour qu’ils avaient échangé jusque-là. Ces seuls mots  "Je veux que tu viennes pas" « étaient des griffes dont elle portait les marques au cou. » La petite fille a maintenant deux papas : celui, grand et souriant de la photo et celui qui dort ou qui se tait, étrange, avec un bandeau blanc sur la moitié du visage.

Angélique Villeneuve procède souvent par rapprochements, connotations, glissements de sens. Par exemple, les discours aux civils, grandiloquents, pompeux, interminables, sont racontés comme les infernales pluies d’obus qui se déchaînent sur les soldats, avec le même vocabulaire, et laissent les vivants, quels qu’ils soient, hébétés.

 « Le discours est criblé par ces débris enflammés. À l’image des combats traversés par ceux qui sont morts à ce jour, les mots officiels s’entassent sur l’assemblée en un chaos effrayant. »

 Les descriptions des différentes opérations que va subir Toussaint pour retrouver un semblant de visage, s’entremêlent à celles qu’accomplit Jeanne pour fabriquer ses fleurs. Le texte mélange, dans le même registre de la torture, les souffrances du soldat et celles de sa femme.

« La petite plaie qui a livré passage au bistouri est refermée par deux crins de Florence fins.
 On courbe avec la pince l’extrémité supérieure des pétales, tandis qu’on les boule à chaud vers la base, sur le coussin ou le carré de caoutchouc. »

Un livre bref, intense, poétique, comme ces fleurs de givre que l’on découvre, le matin, aux carreaux des fenêtres de vieux appartements mal isolés, une féérie éphémère, du grand art, comme une promesse de bonheur.

Sylvie Lansade 
(22/11/17)    



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Lectures








Libretto

(Septembre 2017)
160 pages - 8,10 €









Angélique Villeneuve
a déjà publié
une dizaine de livres.


Bio-bibliographie
sur le site de la
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et de la littérature





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