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Jean-Marie BLAS DE ROBLÈS


Dans l’épaisseur de la chair



On connaît La chanson de Roland, voici maintenant La chanson de Manuel, l’épopée d’un père narré par son fils. Au fil des 270 chants de ce récit, nous suivons les aventures de Manuel Cortès, fils d’immigrés espagnols en Algérie, né à Sidi-Bel-Abbès en 1923 et devenu chirurgien. L’enfance dans le bistrot des parents, la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Algérie, l’exil vers la France, l’installation des rapatriés, les épisodes épiques ou émouvants ne manquent pas dans cette geste du père non dénuée d’un humour récurrent porté par les interventions d’un perroquet philosophe nommé Heidegger et par la situation tragi-comique du narrateur accroché à une corde pendant tout son récit.

Au départ, rien ne laisse prévoir que nous embarquons pour la geste du père quand nous nous trouvons avec Thomas le narrateur et Manuel son père, sur le bateau familial, pour une partie de pêche en Méditerranée, au large de Carqueiranne. Calme, silence, quiétude. « On ne se parle pas beaucoup lui et moi, à peine une dizaine de phrases durant toute la matinée ; rien de ce que nous pourrions dire ne réussirait à exprimer l'intense communion dont nous sommes conscients en ces instants. Tout se passe comme si la beauté du large ne faisait que mettre en scène, chaque fois différemment, notre bonheur d'être ensemble. » Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes…

Mais le père, du haut de ses quatre-vingt-treize ans, laisse parfois tomber des phrases assassines comme celle qui, après le repas du soir, vient anéantir la douce harmonie de la partie de pêche du matin. « Comment il en est venu à me lâcher son nuage d'encre dans la figure, je ne m'en souviens pas ; sans doute après l'une de mes questions trop insistantes sur la guerre d'Algérie, ou un commentaire jugé partial. Son visage s'est fermé pour me signifier que j'étais allé trop loin, que ce n'était plus la peine de discuter avec moi. Prenant à témoin ma mère et mes propres enfants, il a dégoupillé comme en passant une grenade à fragmentation :
– Toi, de toute façon, tu n'as jamais été un vrai pied-noir ! »

C’est cette petite phrase qui engendre la suite – le drame –  qui va donner à Thomas le temps, l’opportunité, la nécessité de revisiter tout le parcours de son père, tout ce qu’il en sait, tout ce qui lui a été raconté par son père ou par d’autres, tout ce qu’il a recueilli ici et là…

Au lendemain du jugement sans appel sur sa non-appartenance à la communauté des pieds-noirs, Thomas a besoin de s’isoler pour digérer, pour réfléchir, pour marquer sa colère. Il se lève plus tôt que d’habitude et, sans attendre le réveil du père, part seul sur le bateau. Mal lui en prend parce qu’il est trop préoccupé pour être attentif à sa sécurité et se retrouve à la mer avant d’avoir compris ce qui lui arrive. C’est là que nous allons l’écouter, dans cette situation tragi-comique du narrateur accroché à la corde de l’ancre, incapable de remonter sur son bateau…

Commence alors un récit émouvant, coloré, alternant les épisodes de violence et de tendresse, de guerre et d’amour.

De son écriture imagée, ciselée, sensible et sensuelle, au vocabulaire riche et précis, l’auteur nous donne à lire, une fois de plus, un roman aussi passionnant par la forme que par le fond,  une vaste fresque parcourant le XXe siècle d’une rive à l’autre de la Méditerranée et une œuvre littéraire au style forçant l’admiration, un grand bonheur de lecture !

Serge Cabrol 
(21/09/17)    



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Zulma

(Août 2017)
384 pages - 20 €






Photo © Zulma / Opale
Jean-Marie
Blas de Roblès,

né à Sidi-Bel-Abbès
en 1954, a reçu le Prix Médicis pour Là où les tigres sont chez eux (Zulma, 2008).



Une bio-bibliographie détaillée est disponible sur le site de l'éditeur : www.zulma.fr




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